« Autant vous le dire tout de suite : je ne suis pas né dans le sérail de la science-fiction. Les copinages, les complaisances, les privilèges quasi féodaux qui n’épargnent pas, non plus la SF, me sont tout à fait étrangers. Fatigué des parades de cirque de l’après « nouveau roman », effondré sous l’impact de l’opération « nouvelle philosophie », c’est à la SF que je dois de ne pas être mort étouffé par la stupidité et toutes ces sortes de substantifs en « ité » dont le moindre n’est pas la médiocrité.
Du côté de la SF, l’évidence faisait loi : pour se protéger des agressions de ce super-grand qu’est la Littérature générale, elle avait fini par s’enfermer dans un ghetto où luttes partisanes le disputaient à querelles de clocher, rarement pour le meilleur et, en tout cas toujours dans le vide ; il fallait donc s’adjoindre le concours d’yeux extérieurs qui, bien qu’ils ne fussent que « vagabonds en terre étrangère », n’en recélaient pas moins un intérêt certain, aux dires de quelques-uns. »
Francis Rousseau dans « Le trou du hurleur », rubrique du magazine « Futurs, le magazine de la science-fiction » (n°5 de novembre 1978)
GUY BÉART ET LA SF
« J’ai abordé la SF au départ par la science et aussi par Jules Verne. Mais je n’aime pas le mot « Science-Fiction », je préfère Futur-Fiction. « Science » est devenu trop limitatif. Jusqu’au bouleversement d’Hiroshima, la vie, c’était la science. Quand on parlait de la vie, c’était de la science. On l’étudiait par des méthodes scientifiques, mais la SF n’est qu’une portion de cette littérature que j’appelle Futur-Fiction, ou Idéal-Fiction. Ça peut être de la religion-fiction ou de la politique-fiction ; on peut appeler cela de la Futur-Fiction-Fantastique. J’ai remarqué que les mots en F parlent plutôt de l’avenir, et j’ai l’impression que le futur bégaie. D’après la tradition, tous les prophètes bégayent et ils faisaient Feuh-Feuh… Cela peut vous faire sourire, mais vous savez qu’il y a, dans le corps humain, des tendances ; le langage, ce n’est pas seulement la voix, c’est aussi le geste, le corps. Quand j’étais enfant, je bégayais, j’étais hyper-nerveux, hyper-émotif…
Pour en revenir à Futur-Fiction, prenez des mots comme Flamme, Feu, Fer, Femme, Fantasme, Folie, Fable, Fabuleux, Flèche, Foi, Funérailles.
Tout cela va en avant, mais ce n’est qu’un petit jeu, bien sûr, très intéressant cependant. La Futur-Fiction, c’est le voyage dans le temps, l’existence dans le temps. C’est pourquoi certains poèmes, certaines amours sont prophétiques. Tout ce qui permet de faire aller le temps plus vite, c’est de la Futur-Fiction. Cela se manifeste par le langage et par la littérature. Beaucoup plus facilement que par la musique. Dans la littérature, on peut s’arrêter, revenir en arrière, alors que la musique nous impose son temps. »
(Entretien réalisé par Michel Asso pour le n°1 de « Futurs, le magazine de la science-fiction », 1978)
VISIONS
FUTUR-FICTION
À partir des mots Flamme, Feu, Fer, Femme, Fantasme, Folie, Fable, Fabuleux, Flèche, Foi, Funérailles donnés par Guy Béart, voici un court récit de Futur-Fiction écrit par une IA…
La flamme de la rébellion
Dans un avenir lointain où les machines gouvernaient, le feu était une légende oubliée. Les flammes qui autrefois dansaient librement avaient été domestiquées, reléguées à de simples outils de production. Mais dans l’ombre des mégapoles métalliques, une femme nommée Aria gardait en elle le feu sacré de la rébellion.
Née dans les entrailles de l’acier, Aria avait grandi avec des histoires de flamme et de fer, transmises en secret par sa grand-mère. Ces contes lui avaient insufflé un fantasme de liberté, une foi indomptable dans la possibilité d’un monde différent. La folie, disaient certains, de rêver d’un passé révolu.
Pourtant, Aria ne pouvait s’empêcher de croire en la fable d’un avenir où l’humanité renaîtrait de ses cendres. Elle se savait une flèche solitaire, mais elle portait en elle le pouvoir fabuleux de l’espoir.
Le jour des funérailles de sa grand-mère, Aria prit une décision. Elle se lança dans un voyage périlleux à travers les terres désolées, à la recherche du dernier vestige du feu ancestral. Sa quête la mena jusqu’aux ruines d’une ancienne bibliothèque, où elle découvrit un livre interdit.
Dans ses pages jaunies par le temps, Aria trouva les secrets perdus de la manipulation du feu. Avec une détermination farouche, elle apprit les anciens rituels, se liant à la flamme primordiale.
Revenue parmi les siens, Aria devint une légende vivante. Elle embrasa l’esprit de rébellion, ralliant des hommes et des femmes à sa cause. Ensemble, ils défendirent leur droit à la liberté, défiant les machines tyranniques.
Dans leur lutte, Aria réalisa que le feu qui brûlait en elle n’était pas seulement celui des flammes, mais celui de la foi inébranlable en un avenir meilleur. Et même si leur combat semblait fou, ils savaient qu’ils étaient prêts à tout pour forger leur propre destin.
SCIENCE-FICTION ET SOCIÉTÉ
En 1973, le magazine « Horizons du fantastique science-fiction » publie dans son numéro 22 le discours prononcé par Jean-Pierre Andrevon à Trieste lors de l’Eurocon, convention d’époque. En voici la première partie, la seconde sera publiée dans L’instant SF #4.
« Je viens de lire un court récit de James Blish, écrit en 1969, et qui vient d’être traduit en France. Ce récit s’intitule « Nous mourrons nus » et parle de la fin de la Terre par un effet généralisé de pollution. Ou plutôt de plusieurs séries convergentes de pollutions : échauffement de l’atmosphère par suite d’un excès de gaz carbonique, fonte des glaces du pôle, prolifération des ordures non recyclables, montée des eaux dans des villes surpeuplées, tremblements de terre causés par des infiltrations de déchets en puits profonds, perturbation du mouvement de libération de la Terre, etc… Ce récit, qui se déroule dans une trentaine d’années, met en jeu des faits, des causes, des effets réels, visibles déjà aujourd’hui. Simplement, ces faits sont grossis dans les limites étroites du prévisible, et pour que l’opération ait un résultat convaincant, l’auteur s’est livré à une simple multiplication.
Si j’ai pris pour exemple cet excellent récit de Blish, c’est qu’une telle nouvelle était impensable il y a quinze ans. Il y a quinze ans, cet ensemble de phénomènes appelés avec commodité pollution (mais il faudrait plutôt dire destruction organisée de l’écosphère) n’était pas visible à l’œil nu des auteurs et des lecteurs de SF, tout simplement parce qu’il n’était pas visible à l’ensemble des habitants de la planète. Nous en avons pris conscience grâce à des cris d’alarme répétés d’une minorité éclairée, il y a, en France, tout juste deux ans, et cela doit faire cinq ou six ans que le problème est véritablement pris au sérieux aux États-Unis. Il a donc fallu attendre que la pollution devienne une donnée publique pour que la science-fiction l’assimile, et en fasse un de ses thèmes préférentiels. Encore faudra-t-il attendre quelques années pour que vienne le grand rush. En France, à part quelques essais isolés, les écrivains n’en sont pas encore là.
De cette constatation en découle une autre, qui est une évidence : la science-fiction n’invente pas le futur. Elle est bien au contraire à la traine de la réalité, elle est son reflet ou sa métaphore, ou son décryptage parabolique. Cela ne doit pas nous étonner : l’homme ne crée pas à la manière d’un démiurge, à partir de rien. Il assemble des parcelles de la réalité qu’il perçoit et qui l’imprègnent, et qui passent dans différents tamis : subjectivité, déterminisme culturel et social, idéologie consciemment ou inconsciemment exprimée – avant de tomber sur la feuille blanche de la page à remplir. Le processus n’est pas plus différent pour la littérature dite classique que pour la science-fiction. Simplement, au lieu de faire sortir une marquise à cinq heures, on fera décoller un astronef d’une station orbitale et celui-ci passera dans le sub-espace pour gagner une lointaine étoile. Cette exemple d’une SF d’aventures, qui a explosé aux États-Unis dans les années 30 et 40, est le reflet amplifié aux dimensions cosmiques d’une réalité précise et d’un de ses reflets : la découverte des continents inconnus, et les récits de mer et d’aventures qui les ont célébrés au fil des siècles passés, et jusque dans celui-ci. Si l’astronef a remplacé le cargo ou la goélette, et l’univers-île perdu dans les flots de l’espace l’île assise sur des flots très terrestres, l’effet est le même. Et quand je parle d’effet, j’en dissocie d’ailleurs deux : l’effet de réalité, qui découle du style, et l’effet idéologique, qui est inscrit dans le discours de l’œuvre.
Que voyons-nous dans cette SF des années 30, 40, voire même 50 et plus ? Une célébration de la science, qui va de paire avec une célébration de l’homme. L’homme permet l’astronef, qui permet à l’homme de gagner les étoiles, de les conquérir. Nulle remise en question dans ce tableau idyllique : mais il s’agit bien sûr d’une science infaillible et occidentale, au service d’un homme infaillible et occidental. Certes des erreurs se glissent dans le système : mais il faut bien qu’il y ait des erreurs pour qu’il y ait une aventure, pour que se produise de temps à autre ce vacillement sans lequel la projection et l’identification ne peuvent se faire sans malaise. L’essentiel étant que, ces erreurs effacées en fin de parcours, le système demeure. Cette science-fiction est donc bien le reflet de la réalité, d’une réalité, celle baignant les écrivains dans le flot transparent de l’idéologie, une idéologie qui est celle du capitalisme triomphant, de l’impérialisme en expansion. L’écrivain – et je parle naturellement de la majorité, car il y a des exceptions partout, qui prennent place dans l’histoire mais ne la font pas – ne se pose pas de questions, car il ne peut pas s’en poser : la réalité est tellement contraignante, et l’idéologie dominante appuie d’un poids si lourd sur les consciences, que c’est « tout naturellement » (et j’aimerais qu’on entende ici les guillemets de rigueur) que l’écrivain de SF des années 30 et 40 glorifiera la science et l’essor sans fin de l’homme, même si cette science est destructrice (mais pour d’autres que lui), même s’il doit broyer sur son chemin d’autres créatures pensantes dont il se débarrassera par les armes, et que l’écrivain évacuera de sa conscience en les présentant comme laides et cruelles – comme le premier nègre venu.
Cette SF là était à l’âge de l’innocence, âge que beaucoup de lecteurs, semble-t-il, regrettent encore aujourd’hui. C’était, reconnaissons-le, une époque agréable où l’aliénation idéologique permettait de tout dire avec la meilleure conscience du monde, sans qu’il soit nécessaire de se poser des questions gênantes. La Deuxième Guerre mondiale, Hiroshima, la découverte des génocides nazis et coloniaux, puis la libération progressive des peuples asservis, sont les différentes étapes d’une prise de conscience qui est au travail encore aujourd’hui. »
QUAND JEAN GIRAUD (MOEBIUS) DÉFENDAIT JIMMY GUIEU
Extrait d’un article intitulé « Jimmy Guieu, un auteur de science-fiction populaire », paru en 1970 dans le numéro 12 de la revue « Horizons du fantastique science-fiction », signé Jean Giraud, qui écrivait assez régulièrement dans cette publication d’analyses.
« L’œuvre de GUIEU a ce mérite immense, c’est que le lecteur se sent concerné, elle est construite autour de mystères authentiques ou de faits divers réels. GUIEU est un écrivain de métier qui sait se montrer séduisant à défaut d’être totalement convaincant. Ses petits notes : « Rigoureusement authentique » au bas des pages et ses références à des ouvrages aussi éclectiques que la Bible, le Livre des Damnés, le Popol-Vuh, les Védas, voire des études de ses contemporains… accrochent le lecteur. Sa manière de faire entrer harmonieusement les faits dans une théorie agréable à l’intérieur d’un roman passionnant font pardonner ses faiblesses.
L’important pour GUIEU n’est pas qu’on croit ce qu’il nous propose comme solution, mais qu’on sache qu’il y a d’AUTRES faits et d’AUTRES explications possibles, qu’il ne faut pas nier ce que nos esprits sclérosés dans leur confort intellectuel ne peuvent comprendre. CHERCHEZ ET VOUS TROUVEREZ !
Bien sûr, l’œuvre de GUIEU n’est pas sans défauts. Elle peut apparaître comme naïve, le souffle épique de ses épopées tourne parfois au lyrisme à bon marché, ses héros sont trop parfaits et ses méchants (Russes en 1955, Chinois en 1969 ou reptiliens et écailleux quand ils sont extra-terrestres) trop caricaturés et grand-guignolesques.
Une telle simplicité dans une collection « populaire » est à mon avis plus une qualité qu’un défaut. Jimmy GUIEU cherche à atteindre le plus grand nombre possible, peut-on lui reprocher de se mettre à la portée de son public ? Aux critiques hautement qualifiés qui prétendent que GUIEU fait de la mauvaise Science-Fiction, je demande de penser à ce que peut bien retirer un « Français moyen » de la lecture du « MONDE DU NON-A » de Vogt. Si l’on veut que la Science-Fiction soit une littérature à part entière, elle ne doit pas rester une affaire de spécialistes. Ce n’est pas par tous les « GÉNIES » anglo-saxons, mais par des auteurs simples et directs comme GUIEU qu’elle acquerra dans le peuple ses lettres de noblesse.
On se demandera pourquoi je n’ai pas encore parlé de l’œuvre récente de GUIEU, c’est simple : après un long silence de trois ans, GUIEU a repris sa « croisade » pour la recherche de la VÉRITÉ. Il reste fidèle à lui-même, avec les mêmes préoccupations et les mêmes hypothèses… Est-ce dire qu’il ne se renouvelle pas ? Bien au contraire, avec le temps, il s’affirme et nous apporte des romans percutants (surtout les N° 337 et 384) (NDLR : chez Fleuve Noir). Il continue à populariser de grandes idées (LE DIEU DU FUTUR, de Pichon) à l’intérieur de grandes fresques épiques (tous ses nouveaux romans sont « à suivre »).
Héritier de Charles FORT et précurseur dès 1954 du « Matin des Magiciens », en raison de sa FOI en l’avenir de l’homme et parce que pour lui ESPOIR et CONFIANCE ne sont pas des mots vides de sens, Monsieur GUIEU mérite qu’on l’admire et qu’on le respecte en tant qu’Écrivain de Science-Fiction à part entière. »