LA CHARRETTE FANTÔME (1939)

Posté le 13 janvier 2012

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LA CHARRETTE FANTÔME (1939) de Julien DUVIVIER (par Trapard)

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Pour mieux situer le réalisateur de LA CHARRETTE FANTÔME, je le considère de la veine de ces cinéastes français des années 1920-30-40 qui portaient l’étendard d’un cinéma populaire à la française comme Jean Renoir, René Clair, Claude Autant-Lara, ou encore Marcel Carné. A chacun, un discours populaire, mais à chacun son univers, puisque Renoir prônait un naturalisme français proche de Zola, Gorky, tout en flirtant avec Flaubert et le théâtre parisien. Clair, issu du mouvement surréaliste hésitait entre onirisme, surréalisme et réalisme à la française souvent dénonciateur, lorsqu’il ne s’égarait pas dans un romantisme de bon aloi. Aussi issu des Surréalistes, Autant-Lara, naviguait dans les eaux troubles de l’humour français, proposant un cinéma anti-nazi d’un côté et militant avec le Front National, de l’autre. Tandis que Carné, lorsqu’il s’alliait à Jacques Prévert se laissait aller à un lyrisme poétique souvent sombre. Julien Duvivier, quant à lui, restait dans un cinéma très humaniste.

Le cinéma français, souvent social, a quelques fois flirté, mais du bout des doigts, avec l’univers du fantastique. Jean Feuillade, dans les années 1910, avec ces serials poétiques, est un peu le pilier de l’onirisme à la française. Beaucoup de cinéastes se sont nourris de son travail, de Georges Franju, à Jean Rollin, et à Olivier Assayas, en passant par le cinéma pornographique, et j’en passe… René Clair et Claude Autant-Lara, de par leur engagement surréaliste, ont bien entendu jonglé avec la magie de l’irréel. René Clair donnera sa version des TEMPS MODERNES de Chaplin, avec A NOUS LA LIBERTE, avant de partir tourner une poignée de comédies fantastiques aux USA. Jean Renoir abordera le fantastique par le biais du roman de Stevenson, Jekyll & Hyde qu’à la fin de sa carrière (LE TESTAMENT DU DOCTEUR CORDELIER). Marcel Carné y fit, lui aussi un détour, avec LES VISITEURS DU SOIR, JULIETTE OU LA CLE DES SONGES et d’autres menues tentatives. Duvivier aussi, tentera ce chemin, notamment par des adaptations de scénarios étrangers, comme avec LE GOLEM ou avec cette CHARRETTE FANTÔME adaptée, à la française, en pleine période de guerre et de crise, du film homonyme de 1921, de Victor Sjöström, excellent cinéaste suédois qui fit carrière et de magnifiques films aux USA sous le nom de Victor Seastrom.

LA CHARRETTE FANTÔME prend donc pour base une vieille légende nordique qui prédit que lorsqu’un individu entend le son d’une certaine charrette, c’est que la Mort vient le chercher, assise sur celle-ci.

char2i dans Le grenier du ciné fantastique

Dans le film de Duvivier, cette légende s’insère dans une trame sociale, entre gens pauvres, malades, charité chrétienne, en cette période difficile d’entrée en guerre de l’Europe. Pierre Fresnay incarnant le personnage principal est lui-même alcoolique et est donc en proie à la négation puis au doute, lorsqu’il se retrouve en présence de forces surnaturelles qui dépassent sa simple logique humaine.

Comme je l’indiquais plus haut, l’humain dans tous ses fonctionnements socio-politiques est le nerf conducteur des films de Duvivier, qui peut, aussi bien, tourner un film sur la montée en croix du Christ (GOLGOTHA), sur une relation amoureuse dangereuse au Maghreb (LA BANDERA), ou au sein de la pègre algérienne (PEPE LE MOKO), ou pour vanter le collectivisme du Front Populaire par l’amitié (LA BELLE EQUIPE). LA CHARRETTE FANTÔME s’insère dans cette logique et, bien française à la fois, des années 30 et 40, où chaque personnages de ces films a son importance, d’où le foisonnement de comédiens connus de cette époque.

Je pense que pour se délecter de ce film, il faut se laisser immerger dans cet univers bien français d’avant-guerre, où visages connus côtoient l’argot parisien, la misère humaine au sein d’une France en crise dans laquelle l’angoisse de la faillite, et de tout perdre, ressemble à la Mort qu’on entend arriver de très loin, comme la guerre.

- Trapard -

char3t dans Trapard

15 commentaires pour « LA CHARRETTE FANTÔME (1939) »

  1.  
    13 janvier, 2012 | 16:34
     

    Merci une fois de plus pour ce superbe article, Trapard. Oui, oui, le cinéma fantastique français a aussi sa place dans Les Echos d’Altaïr, surtout quand il appartient au passé.

  2.  
    Trapard
    13 janvier, 2012 | 18:37
     

    Ha ha, je vois ce que tu sous-entend, bien que j’apprécie quelques initiatives récentes dans le genre horrifique. Peut-être de futurs articles ?
    Mais merci, de me laisser une place sur LEA. J’aime m’écouter écrire, mais si cela se partage, c’est toujours mieux.
    Demain, dans le Cri du Cagou, une nouvelle excursion vers le nanard fantastique dans la rubrique « Le Pacifique fabriqué par Hollywood » avec un lien vers miss LEA, histoire de jouer au ping-pong, avec les liens ;-)

  3.  
    13 janvier, 2012 | 19:33
     

    Ok, je prends note. C’est sympa ces parties de ping-pong ! Quant à tes écrits, tu le sais déjà, mais je te le redis : ils seront toujours les bienvenus chez LEA, donc…

  4.  
    Trapard
    13 janvier, 2012 | 19:55
     

    …Merci.
    Et pour conclure, je n’ai pas précisé (mais est-ce bien nécessaire…) que René Clair a adapté le Faust de Goethe avec LA BEAUTE DU DIABLE.
    Et enfin ajouter que, dans les années 40-50, pendant que Tourneur Junior (Jacques) tournait ses plus grands classiques de l’épouvante aux USA avec le producteur Val Lewton (LA FELINE, LEOPARD MAN, VAUDOU, RENDEZ-VOUS AVEC LA PEUR), Tourneur Senior (Maurice) sortait en France son classique LA MAIN DU DIABLE.
    Bon weekend estival.

  5.  
    13 janvier, 2012 | 22:48
     

    Perfectionniste.

  6.  
    Jean Beauvoir
    24 juillet, 2012 | 11:35
     

    Existe-t-il un lien entre La charrette fantôme (1921) et Le carnaval des âmes (1962, Carnival of Souls)?

  7.  
    Trapard
    24 juillet, 2012 | 13:01
     

    Je ne saurai pas répondre. Je n’ai pas vu Carnival of Souls, désolé.

  8.  
    Trapard
    26 juillet, 2012 | 2:36
     

    En fait, j’ai une version de CARNIVAL OF SOULS éditée par Alpha Vidéo ou un autre éditeur du genre (je ne sais plus lequel) et non restaurée, que je n’arrive pas à le regarder en entier, tellement l’image est crade.

    Par contre, si tu veux parler de la Mort qui vient chercher les personnages, ça existe dans des tonnes de films comme VAMPYR de Dreyer, jusqu’à même les DESTINATION FINALE en quelque sorte. Et ça existe depuis beaucoup plus longtemps que le cinéma cette symbolique.
    Regarde, lis ça :
    http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Mort_%28mythologie%29

  9.  
    Jean Beauvoir
    26 juillet, 2012 | 8:53
     

    Merci pour la réponse.
    Je n’ai qu’un vague souvenir de La charrette fantôme, que j’ai vu dans une version sans doute aussi mauvaise que celle dont tu parles à propos du Carnaval des âmes. En fait, je pointais cette situation où des individus sont morts, mais continuent à errer sur terre, sans réellement réaliser leur état. On trouve en effet cela dans bien des films, mais je me demandais si La charrette fantôme n’avait pas été précurseur sur ce thème au cinéma. Une des adaptations récentes de ce thème se trouve dans la série TV Dead Like Me (2003–2004), qui se base sur l’idée centrale du Carnaval des âmes, et le prolonge, série oblige.

  10.  
    Trapard
    26 juillet, 2012 | 18:52
     

    Je ne saurais te répondre, mais en 1919, Abel Gance a sorti sa première version de son film « J’accuse ! » où l’âme des combattants morts lors de la première guerre mondiale surgissent en masse, pour hanter les vivants. Après c’est une métaphore, et cela va au-delà de ce que tu décris comme « des individus sont morts, mais continuent à errer sur terre, sans réellement réaliser leur état ».

    Puis « La Charrette fantôme » n’aborde pas vraiment ce sujet puisqu’il s’agit d’une autre symbolique encore, celle décrite plus haut, avec l’image de la mort (ici c’est une charrette au lieu d’un squelette capé et armé d’une faux qui appel un futur décés).

  11.  
    Jean-Claude Michel
    16 octobre, 2013 | 4:26
     

    Je pense que la première image qui orne cette page n’est pas du tout extraite de « La charrette fantôme » de Duvivier, mais du film suédois d’Arne Mattson, « Körkarlen » (1958), troisième adaptation du roman de Selma Lagerlöf, inédit malheureusement en France malgré la notoriété du réalisateur (« Elle n’a dansé qu’un seul été »). La première version, muette, étant évidemment celle de Viktor Sjöström (muette).

  12.  
    Trapard
    16 octobre, 2013 | 17:46
     

    En fait, google-images le confirme, il s’agit d’une photo du film muet de Victor Sjöström.

  13.  
    17 octobre, 2013 | 11:01
     

    Photo supprimée. ;-)

  14.  
    trapard
    6 mai, 2014 | 18:46
     

    Tiens, finalement j’ai vu CARNIVAL OF SOULS entre temps. En fait je ne vois pas trop de rapport entre les deux films. L’un raconte une histoire de fatalité avec la Mort qui vient chercher les mourants. Et l’autre est plus une histoire de fantôme ou de sorcellerie moderne. Je créerai plutôt un lien entre LA CHARRETTE FANTÔME (1921) et LE SEPTIÈME SCEAU (1957) qui sont d’ailleurs deux films suédois.

  15.  
    Jean-Claude Michel
    18 décembre, 2019 | 20:19
     

    L’origine exacte des trois versions de « La charrette fantôme » est le roman « Korkarlen » de Selma Lagerlof, mais cette légende n’est absolument pas suédoise au départ, Mme Lagerlof ayant reconnu s’être inspiré de la légende bretonne de l’Ankou, le « charretier de la mort ».

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