LA CHUTE DE LA MAISON USHER (1928)

Posté le 18 janvier 2012

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LA CHUTE DE LA MAISON USHER (1928) de Jean Epstein (par Trapard)

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Je voudrais de nouveau revenir sur un vieux classique du cinéma français, et un film muet de surcroît.

Ce n’est, bien sûr, pas la première d’une très longue série d’adaptations des contes d’Edgar Allan Poe, je sais que l’Américain David Wark Griffith l’avait déjà mis en images dans les années 1910. Et peut-être d’autres avant lui.

Mais ici, c’est « La Chute de la Maison Usher » et « Le Portrait Ovale » que les scénaristes ont adaptés et mélangés pour ce film. Nous retrouvons donc : la vieille maison claustrophobique Usher, un peintre passionné et son modèle dominé… Et la folie…

Et ce ne sont pas n’importe quels scénaristes qui ont participé à ce film, puisque Luis Bunuel a accompagné le réalisateur sur ce projet (dont il est aussi l’assistant à la réalisation).

Pour revenir, sur cette époque artistique française des années 1920, un certain nombre de réalisateurs français se sont détachés du lot de l’industrie ambiante, en créant un mouvement dit-d’Avant-Garde, qui plus de trente ans avant la Nouvelle Vague, revendiquait déjà une nouvelle approche de la réalisation alors que les adaptations des classiques de la littérature, et autres comédies légères, devenaient de plus en plus fréquentes et mornes à cette époque. Jean Epstein en était une des têtes de file, aux côtés d’Abel Gance, de Germaine Dulac, de Louis Delluc ou de Marcel L’Herbier.

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D’un autre côté, les Arts Plastiques et la Littérature, en pleines révolutions dans leurs fondements classiques firent évoluer des mouvements comme le dadaïsme, puis le surréalisme, qui ouvraient à de nouvelles lectures, plus abstraites et souvent plus freudiennes de l’art. C’est de cette école que viennent notamment Luis Bunuel et Salvador Dali qui, un an après La Chute de la Maison Usher, se lanceront dans l’aventure cinématographique surréaliste avec Un Chien Andalou, puis avec L’Age d’Or : des films aux scénarios pathologiques puisés dans l’inconscient de leurs auteurs, par le biais du rêve notamment.

Ce n’est donc pas innocent que La Chute de la Maison Usher ait un tel pouvoir onirique et hypnotique sur le spectateur. Visuellement fascinant, ce film a le mérite de prouver que l’image n’a, parfois, presque plus besoin du son pour nous parler. Bien sûr, la musique aide beaucoup dans le cinéma muet, et généralement, ces films étaient accompagnés d’un pianiste ou de plusieurs musiciens.

Mais dans ce film de Jean Epstein (et donc de Luis Bunuel), le principe névrotique cher aux écrits d’Edgar Poe prend tout son sens lorsque les remous du monde intérieur du personnage principal (toujours le narrateur chez Edgar Poe) deviennent visuels. Le peintre, joué ici par Jean Debucourt au regard ahurissant, laisse ses troubles intérieurs se transporter vers des éléments extérieurs : la pluie, le brouillard, les rideaux de la maison constamment en mouvements, les flous de l’image…

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Et le couple de comédiens (Jean Debucourt et Marguerite Gance) semble toujours transporté d’un interminable hypnotisme obsessionnel intérieur, mêlé de domination morbide du peintre sur son modèle, que seules les visites régulières d’un ami de la région semblent relativiser.

Un film hypnotique, un peu comme un mouvement perpétuel que seule la mort peut réellement perturber.

Pour les curieux de ces différentes vagues cinématographiques françaises, je conseillerai volontiers de voir les films J’ACCUSE ! (1917) et NAPOLEON (1927) d’Abel Gance, LE RETOUR A LA RAISON (1923) et L’ETOILE DE MER (1928) de Man Ray, BALLET MECANIQUE (1924) de Fernand Léger, ENTR’ACTE (1924) de René Clair, L’INHUMAINE (1924) de Marcel L’Herbier, UN CHIEN ANDALOU (1929) et L’ÂGE D’OR (1930) de Luis Bunuel et Salvador Dali.

Et bien entendu, vous retrouverez beaucoup de liens dans ces films, avec d’autres mouvements cinématographiques européens, comme le caligarisme et l’expressionnisme, pour résumer ceci à l’Allemagne.

Pour finir, en clin d’oeil à LEA, le très bon chef opérateur, responsable des cadrages du film, se nomme Georges Lucas. :-)

- Trapard -

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11 commentaires pour « LA CHUTE DE LA MAISON USHER (1928) »

  1.  
    18 janvier, 2012 | 17:25
     

    Georges Lucas ? S’il n’y avait pas eu de « s » à Georges on aurait pu le confondre avec l’autre !
    Superbe article, Trapard, qui nous permet une fois de plus de découvrir les perles rares du cinéma fantastique français. Je ne connaissais absolument pas cette version de La Chute de la Maison Usher (pour moi c’est Corman…).

  2.  
    alx
    19 janvier, 2012 | 20:55
     

    Excellent article.
    Je ne connaissais pas le film avant de le voir lors d’une projection à ciel ouvert en 2000, avec, comme accompagnement musical, les sons rocks, quasi-gothiques, d’un groupe local. Je ne me souviens plus du nom du groupe malheureusement, mais leur son complétait très bien le film, ce qui en rendait ses images encore plus mémorables et prenantes. Il était tout à coup clair que le film n’avait rien à envier aux meilleurs clips vidéos contemporains, au contraire.
    Un deuxième point: Luis Buñuel a en effet participé à la réalisation du film, mais très peu de temps. Il a vite quitté le tournage après une mauvaise dispute avec Epstein. Ce n’est donc bien que le travail d’Epstein que l’on voit à l’écran (BBC.CO.UK)

  3.  
    Trapard
    19 janvier, 2012 | 21:19
     

    D’accord, merci pour l’info alx.
    J’ai aussi assisté à un accompagnement musical (et avec de l’humour dans les sons et les bruitages) mais du « Faust » de Murnau à Nouméa à la F.O.L.
    C’est vrai que beaucoup de ces films muets, de par leur réalisation, étaient en avance sur leur temps. Un peu comme le style d’Eisenstein des années 1920 qui est bien revenu à la mode à la fin des années 90 et dans les années 2000.

  4.  
    Trapard
    23 juillet, 2012 | 20:25
     

    Au fait, comme je parlais des petites vagues cinématographiques, et particulièrement française, le cinéma fantastique a longtemps eu la côte en France. De Méliès jusqu’à même Abel Gance qui est connu pour ses pamphlets historiques, mais qui a commencé dans les années 1910 avec un certain nombre de courts métrages fantastiques. On était plus proche des trucages à la Méliès que de l’Imaginaire, mais c’était déjà du Fantastique.
    Ici, LA FOLIE DU DOCTEUR TUBE (1915) que je viens de retrouver sur Youtube :

  5.  
    Trapard
    23 juillet, 2012 | 20:26
     
  6.  
    Trapard
    23 juillet, 2012 | 20:27
     

    Morbius, tu arriverais à mettre la vidéo en écran ?

  7.  
    23 juillet, 2012 | 22:33
     

    La rajouter dans l’article, tu veux dire ?

  8.  
    Trapard
    23 juillet, 2012 | 22:49
     

    Non, en commentaire, en mode écran, je n’y arrive pas.

  9.  
    24 juillet, 2012 | 6:07
     

    C’est malheureusement impossible dans les commentaires.

  10.  
    trapard
    31 mai, 2013 | 11:16
     

    Je viens de découvrir une autre CHUTE DE LA MAISON USHER datant aussi de 1928. Il s’agit d’un film surréaliste américain de James Sibley Watson et Melville Webber, qui ressemble à un croisement entre le CABINET DU DOCTEUR CALIGARI avec des films très visuels de Man Ray, et je l’ai trouvé excellent.

    http://www.imdb.com/title/tt0018873/?ref_=fn_al_tt_4

  11.  
    trapard
    31 mai, 2013 | 11:41
     

    Sinon, pour en revenir à Jean Epstein, j’aime beaucoup son tout dernier film très réaliste et toujours à la frontière du Fantastique, dans les croyances ancestrales en Bretagne. LE TEMPESTAIRE (1947).

    http://www.cadrage.net/films/tempestaire.htm

    http://www.dailymotion.com/video/xoql8x_le-tempestaire-rubik-erno-quintet_music#.UafxIut207A

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