LES DINOSAURES DANS LA LITTÉRATURE DE SCIENCE-FICTION ET DE FANTASTIQUE (par Mandragore / Publié dans Sci-Fi News 35 d’avril-mai 1993)
Une question piège
Question piège ! Car force nous est de constater d’emblée la relative rareté des mastodontes au sein de nos genres chéris. Les raisons de cette absence ? Les dinosaures sont d’abord l’emblème d’un passé lointain, négatif absolu de ces lendemains qu’est censée explorer la SF. En outre, les tyrannosaures et autres bibendums à écailles n’effraient plus guère et Godzilla prête à rire entre Moby Dick et King Kong. L’Alien profond, l’Autre surgi des abysses marins et spatiaux est mille fois plus stupéfiant que ces lourds carnassiers sans imagination, exhumés dès le XVIIIème siècle. Les Xipéhuz de Rosny, grand familier du monde préhistorique, étaient déjà des minéraux étrangers à la chair, terriblement ET avant la lettre.
Fossiles vivants
Il aura fallu l’exploration ultime du moindre arpent terrestre, la violation par une armée d’Indiana Jones et de Guy l’Éclair de la moindre vallée pour retrouver ces grands gourmands miraculeusement conservés tels les marsupiaux d’Australie. C’est là le thème rebattu de la « poche », de l’ »enclave », lieu cerné de montagnes d’Afrique ou d’Asie ou strate inconnue de l’espace vernien, îlot préservé de l’entropie qui n’obéit pas aux lois établies. Ici, le passé à l’envi resurgit. À nouveau, la terre tremble et roule sous les griffes (Le monde perdu d’Arthur Conan Doyle, Tarzan dans la Préhistoire d’Edgar Rice Burroughs).
Chronautes chasseurs et déportés
Il aura fallu ensuite l’invention du voyage temporel rétroactif ( par opposition à la conquête quasi « naturelle » de l’avenir que permet un sommeil cryogénique ou magique) pour consacrer définitivement l’entrée de ces géants dans la littérature d’anticipation. Voici, désormais, le chronaute chasseur, l’amateur si bien décrit par Bradbury et consorts dans Le cri du tyrannosaure. Chasse au gros, au gras, au méchant qui n’a jamais entendu parler de la balle dum-dum ou du sabre sonique. Ou alors, plongée punitive des déportés du Cambrien (Robert Silverberg) exilés, rejetés par une époque qui les a jugés et condamnés, non pas aux bagnes lointains des Pacifiques d’Outre-Terre, mais à l’anarchie des âges farouches. Forçats contraints d’apprendre à survivre dans un milieu ou l’ancien demi-dieu humain, privé des artifices de la Science, ne pèse guère plus qu’un fétu face aux titans qu’il affronte.
La résurrection génique
Plus récemment, il aura fallu enfin les prouesses de la génétique pour ressusciter les ogres disparus. Plus n’est besoin de recourir à de périlleuses expéditions. Une longue chaîne d’acides aminés, un prodigieux linkage et le tour est joué ! Fini le temps des monstres robots d’Adventure Land à Disneyworld, fini le temps du méga-grizzly dépeint par Stephen King soi-même, ignoble jouet avec un nintendo à la place du cerveau (Dark Tower, Les Terres perdues, tome III), terrassé d’un seul coup de colt à cross de santal ! Voici venir l’ère des zoos exhaustifs (Cf. Le parc jurassique) qui, non contents d’accumuler la future gent à poil et à plume, collectionneront plésiosaures et ptérodactyles avec dodos et cagous !
Des multiples usages du damné dino
Quelle(s) sera / seront la ou les prochaine(s) étape(s) ? Pour le savoir, il conviendrait de faire appel à un écrivain visionnaire de la stature d’un Brussolo. Seront-ce de nouveaux chars d’assaut lobotomisés, mercenaires asservis à de puissants ordinateurs centraux ? Seront-ce d’inépuisables réserves de viande ou des coffres-forts imprenables ? Ou, plus intéressant, comme il y eu jadis la lycanthropie, y aura-t-il demain, sida ou peste bourgeonnante, la saurothropie, maladie qui consisterait à se transformer, en tout ou partie, sciemment ou non, en lézard, avec cornes, écailles et cuissots charnus ? Croco Chanel version 3005 !
Le rendez-vous manqué
Historiquement, ce que nous appelons l’homme n’a pas connu les dinosaures. L’actuel regain d’intérêt pour ces bébêtes microcéphaliennes viendrait-il de ce rendez-vous manqué ? Par quel miracle alors nous serait parvenue l’image du dragon sinon directement de ces gigantesques herbivores rotant et pétant des tonnes de méthane aussitôt enflammés par les feux follets des tourbières ?
Fascination aussi pour la force aveugle en oubliant que certains sauriens étaient grands comme des lapins ! Comique certes aussi de ces hautes machines pataudes et vides, en oubliant que certaines couraient plus vite que des autruches et que – peut-être – leurs caboches creuses contenaient plus que le désir de se nourrir et de procréer.
De là cependant à imaginer une philosophie dinosaurienne…
Restera toujours pourtant le « mystère » de leur disparition : crash cométaire, fléau biologique, prédateurs nouveaux pour les nids, ou simplement, inaptitude à survivre à la glaciation pour des animaux à sang froid, si lourds qu’ils éprouvaient de la peine à se porter eux-mêmes.
Au cœur de chaque homme survit toujours l’être aux maigres mamelles dans l’ombre des forêts mauves. Un être épouvanté, tremblant durant la nuit au cri du grand griffu. De lui, découpé sur le chant luisant des étoiles, il aura gardé ce désir insane d’ébranler le monde, de frayer droit devant son chemin vers le ciel, fût-il chair ou sang, papier ou cendre.
- Mandragore -
Mandragore, je t’adore !
J’adore cette manière d’écrire (je l’entends même mentalement en le lisant).
Sinon, j’aime beaucoup ces vieilles pochettes, et particulièrement celle de Tarzan.
Je me souviens très bien de celle de l’édition jeunesse du Monde Perdu. Je l’avais beaucoup exploré du regard, bien qu’elle soit simple, puisque avant de lire un livre (ou de regarder un film), je me souviens que je laissais (je parle de mon enfance et d’une partie de mon adolescence) beaucoup mon regard voyager sur les pochettes, pour me créer mon propre avant-film. D’où les déceptions souvent, particulièrement au niveau des films en VHS (et même encore aujourd’hui avec les jaquettes de DVD). Mais c’est pas grave, c’est un jeu auquel on a tous appris à se laisser prendre.
Puis, une fois de plus : vive Mandragore !
PS (Morbius) : Lui as-tu demandé d’écrire pour LEA, autre que ces rééditions des Feuillets d’Hypnos ?
Cela intéresserait peut-être aussi Pierre Faessell ?
Non, je ne leur ai pas demandé de participation, d’autant plus que je ne les vois jamais. A dire vrai, je ne sais même pas s’ils connaissent Les Echos d’Altaïr… Mais s’ils ont du temps à consacrer à LEA, je ne refuserai pas !
Je leur en parlerai.