FUNGI DE YUGGOTH, OU L’ŒUVRE POÉTIQUE
(par Mandragore / Publié dans CosmoFiction Fanzine 6 d’avril 1991)
Howard Phillips Lovecraft, familièrement appelé HPL, est, sans aucun doute, le plus grand auteur fantastique de ce siècle. Divinités maléfiques, cultes blasphématoires, villes maudites, livres interdits, composent la frêle silhouette du Maître, qui franchit à l’envi, avec ses clefs d’argent ou d’onyx, les portes qui nous séparent du Pays de l’Horreur : promenades oniriques où par des « pistes très anciennes » nous voici soudainement confrontés à des vérités innommables. Derrière les collines en fleurs, sous le chatoiement infini de la mer, veillent des énormités noires. Rien ne demeure des jours heureux. Le cauchemar et la mort fondent sur le monde.
Car nous ne sommes point les premiers êtres pensants à avoir foulé la Terre ! D’un passé d’avant toute mémoire, Lovecraft fait resurgir les anciens Seigneurs, fils peut-être de ces « maigres créatures » qui hantaient sans pitié son sommeil d’enfant. Ses poulpes aux clapotements chtohniens, ses gardiens d’huis prodigieux, ces dormeurs attendant leur heure, confèrent à l’œuvre une cohérence rare. Le Panthéon de plus en plus affiné des Grands Anciens devient l’unique fil d’Ariane dans les caves méandrines de l’esprit du Maître.
Les poèmes de l’homme de Providence occupent une place tout à fait privilégiée dans sa création. Ils prolongent directement ses nouvelles en réussissant à amincir encore l’intangible membrane qui nous protège de nos songes ! En quarante années, plus de deux cents textes voient le jour. La plupart seront publiés dans des fanzines confidentiels puis repris dans « Weird Tales ». Beaucoup étaient écrits dans un style ampoulé, très XVIIIème siècle. À l’exception d’un seul tragique poème d’amour : « La Fiancée venue de la Mer », toutes ces odes campent un personnage solitaire, perdu dans ses contemplations glacées, son double parfait, celui dont l’image passe à la postérité.
Lovecraft évoque, à maintes reprises, pour nous, le passé de la Nouvelle-Angleterre, il se souvient avec nostalgie d’un monde révolu, à la beauté enfuie. La Nature y est fortement présente avec les Saisons (Primavera ou Octobre), passage du temps, rappel des hivers heureux, souvenirs de souvenirs qui nous entraînent vers un passé plus lointain, au-delà de sa vie, vers d’autres dimensions imaginaires ou – qui sait ? – vécues !… Les FUNGI de YUGGOTH (trente-six visions écrites du 27 décembre 1929 au 4 janvier 1930) constituent, à bien des titres, la clef de voûte du vénéneux ensemble de sa production poétique. Lovecraft s’y est livré sans contrainte : il y parle à la première personne, décrivant Providence, sa ville natale, ses vieilles maisons, son port, ses ruelles. Mieux, il explicite parfaitement la démarche de ses personnages et le processus de ses fictions. C’est toujours la découverte d’un livre tabou, contenant un antique savoir, une présence menaçante, la fuite, la révélation de l’Horreur, l’irruption du cauchemar dans la « vie réelle ». C’est toujours une sorte d’attirance indicible vers un Ailleurs, merveilleux ou terrifiant, cette fascination des Abîmes du Dehors et des Êtres Monstrueux qui l’habitent. Tous ces poèmes sont empreints d’un profond désespoir, d’un pessimisme noir et surtout d’une nostalgie viscérale. Lovecraft recherche éperdument quelque chose à jamais perdu… son enfance, peut-être, le bonheur qui lui a toujours échappé ou une harmonie inaccessible.
- Mandragore -
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