LA TRILOGIE JAPONAISE DE DRACULA (par Trapard, du Cri du Cagou)
Je parlais du cinéma japonais des années 50 et 60 dans cet article consacré au classique de Kenji Mizoguchi. En 1971, l’industrie cinématographique et d’exploitation japonaise s’est déjà affirmée et elle est, de plein pied, dans la production de films calqués sur le cinéma américain (comme cette trilogie) ou au contraire, elle affirme une japanese touch qui tentera une exportation dans les circuits de distribution grindhouse des petites salles.
Les films de samouraïs n’en finissent plus de chercher à ne pas se laisser concurrencer par une nouvelle production de films d’arts martiaux, exportable, et venue de Hong Kong. Ainsi les aventures de ZATOICHI, le samouraï aveugle, débutées dans les années 60, se prolongent, et se renouvellent régulièrement, dans les années 70, grâce à de nouvelles équipes techniques et de nouveaux castings. C’est aussi, la série des BABY CART qui voit le jour en 1972. C’est une adaptation d’un « gekiga », sorte de manga historique dans laquelle, ici, l’histoire se déroule durant le XVIIe siècle au Japon. Puis, les aventures du sadique ninja japonais, Hattori Hanzō. C’est aussi la glorieuse période des films de sexploitation au Japon qui s’est spécialisé, plus qu’ailleurs, dans les films SM de tortures et d’humiliations de femmes destinés à une exportation et une distribution dans les pays à forte tendance chrétienne (je vous laisse imaginer pourquoi…). SALO OU LES 120 JOURNEES DE SODOM de Pier Paolo Pasolini en sera, aussi, le dérivé italien. Je citerai, par exemple, concernant cette production japonaise : SEX AND FURY (1973) et LE COUVENT DE LA BÊTE SACREE (1974) du même Noribumi Suzuki, puis SHOGUN’S SADISM (1976) de Yûji Makiguchi, VIOLENCES ET TORTURES SUR LES FEMMES (1978) de Kôji Wakamatsu, et d’autres encore…
Certains réalisateurs de la Nouvelle Vague japonaise flirteront d’ailleurs, aussi, avec cette mouvance. C’est le cas de Nagisa Ôshima, par exemple, mais de manière beaucoup plus subtile et, finalement, beaucoup plus provocatrice, avec L’EMPIRE DES SENS (1976). D’autres s’essayeront au fantastique ou au morbide, comme Yasuzō Masumura avec LA BÊTE AVEUGLE (1969), entre autres.
Ce marché d’exploitation cinématographique du sadisme s’éteindra, peu à peu, de lui-même, laissant la place à une production beaucoup plus soft, et destinée aux plus petits, que des gens de la génération de Morbius, ou moi-même, avons bien connu. Et ceci grâce à une nouvelle demande lors de l’expansion de la télévision, et la création de nouvelles chaînes. Ce qui a été le cas, en France métropolitaine, avec ces trois chaînes (TF1, A2 et FR3) achetant au Japon des séries comme SAN KU KAÏ, SPECTREMAN, BIO-MAN, ou en mangas, comme GOLDORAK, CAPITAINE FLAMM, ALBATOR, ainsi que les co-productions qui se créeront entre la France et le Japon (CANDY, MAYA L’ABEILLE…). Beaucoup d’autres de ces séries TV se sont imitées à la télévision japonaise, d’où l’effervescence d’une culture geek endémique au Japon, que certains réalisateurs, comme Takashi Miike tentent, encore aujourd’hui et régulièrement de ressusciter, pour mieux la renouveler.
Pour ce qui est de la« trilogie de Dracula », elle est inédite en France, dans le circuit du DVD, et donc je me limiterai à la titrer en anglais : LAKE OF DRACULA, LEGACY OF DRACULA et EVIL OF DRACULA. C’est la très vieille Compagnie TOHO qui en est à l’origine et c’est de cette maison de production que sont issus certains des plus grands classiques d’Akira Kurosawa comme LES SEPT SAMOURAÏ (1954) ou LE CHÂTEAU DE L’ARAIGNEE (1957). Et c’est à l’assistant-réalisateur de Kurosawa sur ce dernier film de 1957, Michio Yamamoto, que reviendra la réalisation de notre trilogie vampirique. Yamamoto a d’ailleurs très peu tourné. Assistant-réalisateur jusqu’en 1966, il tournera seulement 6 longs métrages entre 1969 et 1974, ainsi que quelques épisodes d’une série TV, en 1975. Sa trilogie de Dracula a été réalisée pour surfer sur cette veine d’exploitation de films fantastico-gothiques, dont les maisons de production, Hammer Films, en Angleterre, et l’American International Pictures (A.I.P.), aux USA, régnaient en maîtres.
1971, c’est l’année où sera mis en chantier, par la Hammer, la trilogie de Karnstein, adaptée de « Carmilla » de Sheridan Le Fanu. L’année suivante, l’A.I.P., qui est partie prenante de la blaxploitation (exploitation de films destinée à un public afro-américain) lancera son BLACULA, puis sa suite, SCREAM, BLACULA SCREAM ! Ces deux films suivront la logique des films de Yamamoto, en situant leurs intrigues dans les années 1970, se détachant ainsi d’un cinéma gothique qui ancre, depuis une décennie, ses codes scénaristiques dans une Angleterre victorienne ou en plein Moyen Âge. C’est aussi une manière, pour ces producteurs et exploitants de films d’horreur internationaux, de chercher à renouveler leur public, en ciblant les plus jeunes générations nées du Boom économique et détachées du passé.
La Trilogie de Dracula s’ancre bien donc dans son temps, et ceci de manière universelle, sans réellement utiliser de codes japonais, et mettant en scène des comédiens jeunes et modernes. Pour les éventuels curieux qui chercheraient à voir ces trois films de Yamamoto, je ne lancerai aucun SPOILER en racontant leurs intrigues, mais je me limiterai à ajouter que leur ambiance vaut le détour, de par le mystère qu’elle dégage, et ceci grâce à de splendides artifices d’éclairages (encore un peu gothiques, malgré la modernité du sujet) et dévoilant un univers macabre qui devrait réjouir tout fantasticophile amateur.
- Trapard -
Merci pour cette page sur le cinéma gothique. Un genre souvent évoqué lorsqu’il s’agit de cinéma d’épouvante ancien, mais tout aussi souvent mal défini. Les puristes ne rangeraient pas cette trilogie japonaise dans le véritable cinéma gothique, notamment parce que les références médiévales sont absentes. Mais l’importance accordée à l’inquiétante demeure du vampire et la dimension onirique de certaines scènes autorisent le lien avec le genre gothique, ou tout du moins « pseudogothique ».
Sachant qu’il n’existait pas réellement au Japon de tradition dans ce style macabre et surnaturel (sans oublier que le mythe du vampire est étroitement lié à la culture chrétienne, très peu représentée au Japon), on peut saluer la qualité de ces productions, et regretter qu’elles restassent (à ma connaissance) isolées dans l’histoire du cinéma de ce pays.
Super article! Je ne connais pas du tout ces films, mais je vais essayer de me les trouver. Ils ont l’air géniaux, et d’ailleurs cela me fait penser que je dois voir « Thirst » de Chan-wook Park!
THIRST, c’est très différent, c’est du cinéma d’auteur.
@Bébé Cyanure : il existe aussi un très sympathique film de vampires australien qui se nomme « Thrist ». En Français : SOIF DE SANG (1979).