LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI (1919) de Robert Wiene (par Trapard)
LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI n’est pas, à proprement parler, un film fantastique, mais il est bel et bien un très beau film sur l’Imaginaire, si l’on considère, bien sûr, que la Folie et les délires psychotiques développent une forme certaine d’Imaginaire.
Le scénario a été écrit par Carl Mayer et par Hans Janowitz. Alors à l’origine d’un mouvement cinématographique extrêmement graphique né en Allemagne, l’Expressionnisme, Carl Mayer voulait faire très fort avec LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI qui, de par sa nouvelle forme de narration à tiroirs et ses décors improbables, sort finalement du cadre de ce mouvement, et certains parlent même de « Caligarisme » à son sujet. C’est dire si ce film est un peu à part.
Son histoire semble simple aux premiers abords : Dans une fête foraine, vers 1830, le docteur Caligari exhibe Cesare, un somnambule. Celui-ci prédit à un étudiant, Alan, qu’il vivra jusqu’à l’aube. Il est en effet assassiné dans son lit. Son ami Francis soupçonne Caligari. Jane, la jeune fille que convoitaient Alan et Francis est enlevée par Cesare. Poursuivi, le somnambule s’écroule après avoir abandonné son fardeau. Francis poursuit Caligari qui se réfugie dans un asile de fous, dont Caligari s’avère être le directeur.
Donc plus le film évolue, plus le spectateur comprend qu’il est manipulé et que chaque personnage en cache un autre dont les valeurs et responsabilités s’inversent. Je n’hésiterai pas à spoiler un film de 1919, dont je pense que plus ou moins chaque cinéphile a déjà parcouru une fois, en annonçant que le personnage de Francis traquant le Dr. Caligari au sein de son institution psychiatrique n’est autre que l’un de ses patients. Le film n’ayant été qu’un cheminement psychotique, de la part du dénommé Francis, en quête de déculpabilisation de sa propre personne, et ceci depuis le début du film. Une narration en tiroirs donc, et en lecture inversée qui font passer IRRÉVERSIBLE de Gaspard Noé, et quelques sujets du même genre, pour des films d’étudiants.
Du coup, à la fin du CABINET DU DOCTEUR CALIGARI, tout s’éclaire : le graphisme délirant des décors décentrés qui désorientent beaucoup le spectateur, et cette constante impression que le sujet du film risque de nous échapper, cet ensemble abstrait s’évapore alors, et le film s’ancre enfin dans une certaine réalité sociale. Le spectateur peut donc mentalement se refaire défiler le film et comprendre que Francis lui a raconté des salades tout le long, caché derrière sa maladie mentale.
Francis est interprété par Friedrich Feher, mais ce sont finalement les comédiens Werner Krauss (le Docteur Caligari / Le directeur de l’hôpital psychiatrique) et Conrad Veidt (Cesare, le somnambule) qui restent les héros de ce film, car en diabolisant leurs deux personnages, Francis arrive à focaliser notre attention sur eux, comme lorsque parfois, avec de la colère ou de la jalousie, on arrive malgré soi à grandir des personnes insignifiantes. Puis il y a aussi, et bien sûr, la jolie Lil Dagover qui interprète Jane qui est finalement le nœud de l’intrigue, kidnappée et portée par Cesare, telle une screaming girl abandonnée dans les bras d’un monstre du cinéma fantastique. Elle n’est autre qu’une des patientes internées à l’hôpital psychiatrique et à qui Francis partage ses délires sous la forme d’une histoire à l’imagination débordante, car au-delà de la Folie il reste toujours l’Amour…
Un très beau film de Robert Wiene, bien que Fritz Lang avait été pressenti pour le mettre en scène mais il refusa, de peur de trop égarer le spectateur. Le chanteur / réalisateur, Rob Zombie, a rendu un bel hommage au CABINET DU DOCTEUR CALIGARI en reprenant des scènes du film dans son clip Living Dead Girl.
Bien que difficile d’accès de par la qualité du film suite à l’usure du temps et son univers abstrait renforcé par l’absence de bande sonore, LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI demeure un film à toujours redécouvrir puisqu’il est, encore aujourd’hui, un bel exercice de style et un bel exemple de ce qu’est le cinéma : une machine à manipuler les histoires.
- Trapard -
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Pour les fans de l’expressionnisme allemand, GENUINE, le film que Robert Wiene a tourné juste après LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI est visible en streaming, en version anglaise à partir de ce lien :
http://archive.org/details/RobertWienesgenuineATaleOfAVampire1920
Ceux qui trouveront la version française, auront plus de chance.
À voir aussi pour les incroyables décors du film réalisés par le peintre César Klein.
Pour ceux que ça intéresse, un lien wikipedia sur l’Histoire du cinéma allemand de 1910 à 1930 avec Le cinéma expressionniste, Le Kammerspiel Film et Le Strassen Film :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_cin%C3%A9ma_allemand_de_1910_%C3%A0_1930
Musicalement, l’expressionnisme allemand existe aussi et il est inspiré de styles et chanteurs allemands de ce qu’on appelait le « cabaret » en Allemagne dans les années 20, un style de chant et scénique outrancier et théâtral qui a disparu avec la montée du nazisme.
Des groupes américains comme CHRISTIAN DEATH (et ses dérivés) s’en inspirent bien qu’on les qualifient plutôt de rock gothique en France.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Christian_Death
https://www.youtube.com/watch?v=Jt7-MJr7gmA&list=PL7CLfASoLrdiY9NKetB_uxQ8Xrz-NWdMO&index=2
En France, LES TÉTINES NOIRES se sont bien inspirées du Cabaret allemand aussi.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_T%C3%A9tines_Noires
Perso, j’ai beaucoup écouté leurs CDs Fauvisme et pense-bête (1990) et Brouettes (1991) durant mes études parisiennes.
https://www.youtube.com/watch?v=K46CD8516OM&feature=share
Je pense que beaucoup d’autres grands noms de la chanson comme David Bowie, Nick Cave, Jim Morrison se sont inspirés du Cabaret allemand. Et même Patricia Kaas en quelque sorte même si elle revendique une certaine culture française derrière ses chansons.
https://www.youtube.com/watch?v=IpWcSEaEyR8
Une affiche assez représentative du cabaret de Montmartre Le Chat noir fondé en novembre 1881 par Rodolphe Salis.
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/99/Th%C3%A9ophile-Alexandre_Steinlen_-_Tourn%C3%A9e_du_Chat_Noir_de_Rodolphe_Salis_%28Tour_of_Rodolphe_Salis%27_Chat_Noir%29_-_Google_Art_Project.jpg
Ah ben tiens ! Je n’avais jamais vu ce clip mais ça confirme bien mon propos au sujet des TÉTINES NOIRES au sein même de cet article sur LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI
https://www.youtube.com/watch?v=jHE7_-x0CbM&index=4&list=PLiXw8w-iKjgkgYadPewbKTsJUfCa8IJIW
Le groupe alternatif calédonien ORK&STRA en superposition avec le Nosferatu de F.W. Murnau :
https://www.youtube.com/watch?v=U-6XkSavEHo