LA MONSTRUEUSE PARADE (1932) de Tod Browning (par Trapard)
Un « Freak » ou « Monstre humain » désigne, dans le langage courant, un être humain atteint de malformation congénitale, ou d’un désordre génétique du développement, ou une maladie causant des formes extrêmes de difformité. Les « Freaks » ont été présentés dans des fêtes foraines, dans des cirques ou encore, dans ce qu’on appelait autrefois des Zoo humains. Jugées dégradantes, ces exhibitions ont été interdites en Europe à la fin du XIXe siècle, mais elles perdurent aux États-Unis sous la forme de Freak Show. Ce sujet est le point de départ et de dénonciation du film ELEPHANT MAN (1980) de David Lynch, mais c’est aussi le thème fort de LA MONSTRUEUSE PARADE (FREAKS) de Tod Browning, sorti en salles en 1932, qui est le sujet de notre article.
Alors en contrat avec la Metro-Goldwyn-Mayer, juste après le succès retentissant de son DRACULA (1931) réalisé pour la Universal Pictures, Browning semble avoir gagné beaucoup de liberté de choix pour ce film suivant. Très tôt habitué au monde du cirque et du spectacle, il a basé son film, à l’aide des scénaristes, sur une nouvelle de Clarence Aaron Robbins. L’histoire se déroule dans les années 1930, dans le Cirque Tetrallini en tournée à travers l’Europe : Hans, un lilliputien illusionniste, fiancé à l’écuyère lilliputienne Frieda, tombe amoureux de la jolie trapéziste, Cléopâtre. Amusée, cette dernière se moque un peu de Hans, jusqu’à ce qu’elle apprenne qu’il a hérité d’une grosse fortune. Alors, aidée d’Hercules, son idiot d’amant, elle organise un plan machiavélique : elle demande Hans en mariage, devant la pauvre Frieda, désespérée, mais pas dupe non plus. Mais lors du banquet de noces en compagnie de tous les « monstres » du cirque, Cléopâtre, enivrée et imbue d’elle-même devant sa beauté, tente d’empoisonner son futur mari. Mais surprise, et soudain très dégoûtée, elle se voit invitée à entrer dans la « famille » très solidaire des monstres du cirque. Elle réagit très violemment sous l’effet de l’alcool qui lui tourne alors la tête, et se met à les insulter tous, en les traitant de sales « Freaks ». La machination est découverte et les « monstres » offensés et blessés la poursuivent, et de colère, ils l’amputent, au point qu’à la fin du film elle est présentée tel un monstre de foire… un peu comme si sa laideur intérieure devenait apparente. Du coup, le processus s’inverse, et à travers ce message le questionnement de ce qu’il peut exister au-delà de la laideur se pose.
La question est si essentielle que beaucoup de cinéphiles excluent ce film de la vague du cinéma d’horreur des 30′s, pour le hisser dans les premiers films d’auteur du cinéma américain, et ainsi, Tod Browning, comme étant l’un des premiers réalisateurs intelligents du début du cinéma parlant. Par contre, à sa sortie, LA MONSTRUEUSE PARADE révulsa tellement le public et la critique que la carrière de Browning en fut quasiment liquidée sur le coup. Il ne tournera plus que quatre films, par la suite, dont les grands classiques que sont LA MARQUE DU VAMPIRE et LES POUPÉES DU DIABLE, mais avec des marges de manœuvre beaucoup moins libres.
D’ailleurs, LA MONSTUEUSE PARADE fut même amputée (si je puis dire…) après sa sortie. Une scène apparaissait à la fin du film, montrant Cléopâtre tombant à terre, ses jambes frappées par la foudre, puis son corps était recouvert de feuillages et de branchages par les « monstres » guidés par Hans. La scène a finalement été supprimée car le public jugeait le comportement de Hans beaucoup trop agressif envers une « humaine ».
Enfin, au-delà du thème de la beauté intérieure-extérieure, un présentateur apparaît au début du film, comme dans un prologue, et comme cela se faisait souvent dans le cinéma de spectacle de cette période (dans FRANKENSTEIN, par exemple). Et généralement, on pouvait le voir écarter des rideaux et approcher de son air rassurant et propre sur lui. Et ceci pour prévenir de la violence du sujet qui allait être présentée au spectateur. Au début de la LA MONSTUEUSE PARADE, c’est un bonimenteur de fête foraine qui nous prévient qu’ « en offenser un, c’est les offenser tous ». Un thème fort qui, sous de faux-airs à vouloir nous effrayer et nous parler de vengeance bête et simple, nous renvoie au phénomène de solidarité qui se crée parfois lors de blessures intérieures et qui peut aussi prendre une valeur et une force commune, voire communautaire. Pour aller encore plus loin, le thème en est aussi, et ouvertement, l’Exclusion et le Sectarisme, face à des individus qui, et on le voit tout le long du film, font des efforts colossaux pour s’adapter au reste de l’équipe du cirque. Allant même parfois jusqu’à plaisanter de leurs propres difformités et, par conséquent, de leur propre différence.
Pour conclure, ce magnifique film, et repoussant à la fois, qu’est LA MONSTUEUSE PARADE, serait moins repoussant, peut-être, si l’on acceptait de considérer que la vraie monstruosité nait souvent de notre propre peur face à la mort, aux maladies ou aux difformités et amputations en tout genre. Et ce petit bijou du cinéma des années 30 est encore et toujours redécouvert par de nouvelles générations, ce qui n’est pas plus mal, vu l’ampleur de son message.
- Trapard -
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À voir aussi MUTATIONS (1974) de Jack Cardiff.
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L’avis de Tinetor de l’UFSF : « Non content d’avoir été l’un des plus talentueux directeurs de la photo, Jack Cardiff s’est illustré avec un certain bonheur dans la mise en scène, abordant les genres les plus divers (LES DRAKKARS, LE LIQUIDATEUR et surtout le brutal LE DERNIER TRAIN DU KATANGA) avec pour le fantastique ce MUTATIONS qui n’est pas sans cultiver certaines similitudes avec LA MONSTRUEUSE PARADE de Tod Browning, notamment par une exploitation de la monstruosité humaine au traitement cependant ici nettement plus complaisant. Bien qu’abordant le thème classique du savant fou, Cardiff se distingue toutefois en caractérisant ces mutations d’une originalité certaine, où les habituelles expériences à base de cobayes humains et d’animaux font place ici à celles issues de croisements entre humains et végétaux. Œuvre méconnue, MUTATIONS gagne incontestablement à être réévalué pour sa tentative méritante de renouveler un thème abondamment traité au cours des décennies précédentes. »