THE DEVIL BAT (1940) de Jean Yarbrough (par Trapard)
Dans le monde du nanar, THE DEVIL BAT a une place de choix avec sa chauve-souris géante improbable et mal filmée, et avec un Béla Lugosi peu crédible, en chute de carrière. L’intrigue : Le docteur Carruthers (Béla Lugosi), inventeur de parfums, voue une rancune tenace à ses employeurs devenus riches grâce à ses assemblages. Pour se venger, il développe une chauve-souris géante capable de tuer ceux qui utiliseront une lotion spéciale à base de fragrance tibétaine…
Sur ce fil conducteur d’un laisser pour compte face à des requins du Capital, le film se développe sans moyens financiers évidents, Jean Yarbrough renforçant sa réalisation avec autant de système D que de grosses ficelles, le tout enjolivé d’une musique pétaradante pour accentuer les quelques moments dramatiques du film, peu crédibles en soi. THE DEVIL BAT évolue alors, et si on s’y laisse prendre, avec cette tournure amusante des Zèderies bricolées qu’Ed Wood tournera une décennie plus tard, au cours des années 50, Lugosi y jouant déjà à grands renforts de regards sournois et machiavéliques sur une intrigue dramatique invisible. Un jeu d’acteur qui fonctionnait pourtant si bien dans des films à gros ou petits budgets des années 30, mais dans des films qui possédaient un effort évident dans les décors, accessoires, et surtout au niveau des éclairages d’ambiance, ce dont THE DEVIL BAT est malheureusement dépourvu. Et Lugosi de grimacer dans un film sans relief, au final. Mais c’est justement ce décalage qui prouve à quel point le talent d’un tel comédien a été sous-exploité à partir des années 40, Lugosi semblant presque seul à l’image, dans un montage décalé où il semble excellent face à d’autres comédiens presque fades. Ces derniers sont filmés dans leur élan et à leur rythme, et Lugosi dans le sien, que la coordination du metteur en scène semble évidemment bâclée : Jean Yarbrough ayant sûrement refilé ses rushs d’images au monteur en lui lançant : «Vas-y, démerde-toi avec tout ça, si tu peux !».
Mais THE DEVIL BAT est aussi un de ces films sans moyens qui faisaient durer la carrière de Lugosi jusque dans les années 50, lui évitant de pointer au chômedu, et que l’on regarde encore aujourd’hui en tant que tel. En souvenir, finalement, de sa carrière riche en personnages monstrueux de tous poils, dans des films que Lugosi portait malgré lui, avec le décalage de son jeu d’acteur impressionnant, et qui ne collait plus vraiment avec le rajeunissement des sujets dans les décennies suivantes. Revoir aujourd’hui Lugosi dans un film des 40′s comme THE DEVIL BAT, ou dans un de ceux des 50′s, c’est comme un de ces plaisirs de gourmets, un peu snob et décalé à la fois, de goûter à l’univers du jeu d’un Lugosi éparpillé ça et là dans des films qui ne lui convenaient pas. Un peu comme certaines carrières dans le bis italien ou américain dans les 70′s, de grands comédiens qui ne pouvaient s’empêcher d’être talentueux et forts en présence, dans des films sans intérêts que seul leur nom sur l’affiche proposait un gage de valeur au produit vendu à des consommateurs.
- Trapard -
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Super de pouvoir lire une chronique en français sur ce petit film sympathique.
Cela dit, je trouve la critique un peu rude. Il me semble que pour 1940, ce film s’en sort pas trop mal. Nous étions encore dans l’âge d’or de l’Universal, entre Le fils de Frankenstein (1939) et Le loup-garou (1941). The devil Bat me semble refléter le cinéma fantastique de cette époque, avec certes moins d’argent que les grandes compagnies. C’est loin d’être le plus mauvais de Bela Lugosi, et je ne pense pas que ce filme ne lui « convenait pas ». Je dirais plutôt ça d’un film comme Ghosts on the loose (1943) où Lugosi à un rôle insignifiant, ou encore Bela Lugosi meets a Brooklyn Gorilla (1952). Et encore, même dans celui-ci il incarne savoureusement son rôle de « mad doctor ».
Dans Devil Bat, Lugosi peut pleinement jouer le « méchant » exerçant passionnément sa vengeance. Lugosi fait partie de ces acteurs (avec Peter Cushing, Herbert Lom ou encore Vincent Price) qui illuminent n’importe quel film de leur présence à l’image.
Je suis d’accord avec toi et je ne pense pas que ton commentaire contredise mon article.
Dans cette logique, il y a aussi THE GORILLA (1939) et THE INVISIBLE GHOST (1941).
Par contre, pour rebondir sur ton commentaire, Jean Beauvoir, qu’on apprécie ou pas THE DEVIL’S BAT, il faut bien avouer que Béla Lugosi était sur le déclin de sa notoriété puisque dans LE FILS DE FRANKENSTEIN (1939), il est relégué, derrière Boris Karloff et Basil Rathbone, au second rôle d’Ygor le bossu (où il est grimé et presque méconnaissable). Et dans LE LOUP-GAROU (1941), il n’est plus qu’un simple gitan. Dans LE GORILLE (1939), dans NINOTCHKA (1939) de Lubitsch, et même dans le remake de LE CHAT NOIR (1941) il n’est plus relégué qu’à des rôles de valets. alors que parallèlement, à cette époque (1939-1940), Boris Karloff tenait la tête d’affiche de bons premiers rôles de savants fous de toutes sortes. Dans LE RÉCUPÉRATEUR DE CADAVRES (1945), Boris Karloff y est génial, tandis que Lugosi se retrouve, une fois de plus, dans un petit rôle de valet.
Je trouve que Tim Burton décrit assez bien la jalousie que Lugosi entretenait pour son concurrent direct de 1931 avec DRACULA/FRANKENSTEIN, et là où Karloff a su s’émanciper de rôles secondaires, Lugosi ne tournait quasiment plus que des rôles secondaires ou des premiers rôles dans des films médiocres dès les années 40.
PS : et je pense que c’est le serial THE PHANTOM CREEPS (1939) qui a relancé la carrière de Béla Lugosi, mais uniquement dans de la série B.
Pour conclure sur Lugosi, et en m’éloignant de THE DEVIL’S BAT, je pense que le rôle de Dracula (et toute la pub autours du personnage) a autant bouffé Lugosi que le rôle de Tarzan a bouffé Weissmuller. Et Lugosi a jusqu’à sa mort sûrement eu du mal à s’émanciper du personnage au regard de son public. Il suffit de voir ce qu’Ed Wood a offert à jouer à Lugosi et excepté le dyptique, LA FIANCÉE DU MONSTRE (1955) et NIGHT OF THE GHOULS (1956), les rôles de Lugosi dans GLEN OR GLENDA (1953) et dans PLAN NINE FROM OUTER SPACE (1959) sont, ni plus ni moins, des variantes du personnage de Dracula. Seul son avant-dernier rôle dans LES MONSTRES SE RÉVOLTENT (1956) semble donner de la mesure à son talent. Mais pour le reste, j’ai l’impression que Lugosi sera coincé jusqu’à son décès entre Dracula et sa consommation de cocaïne, et que seuls quelques rôles de composition nouveaux l’ont extrait de cet emprisonnement.
C’est vrai que Lugosi a assez rapidement été sur le déclin. Pour ma part, je pense que c’est dû au fait qu’il était tout de même moins bon acteur que Boris Karloff, dont tu notes l’ascension à la même époque. Lugosi fait partie de ces acteurs qui ont une forte présence, mais dont le jeu n’est pas terrible. Ça me rappelle le couple Peter Cushing et Christopher Lee. Ils étaient de bons amis, mais là encore on retrouve un bon acteur (Peter Cushing) et une forte présence (Christopher Lee). On peut trouver dans les biographies et autres histoires de la Hammer Film cette anecdote de Michael Carreras répondant à Christopher lee se plaignant que dans les Dracula il n’avait qu’un temps très court de présence à l’écran (et pas beaucoup de texte) comparé à Peter Cushing : « Oui, mais une minute de Christopher Lee vaut quinze minutes de Peter Cushing ». Manière habile et flatteuse de dire que Lee était un acteur qui crevait l’écran de sa présence, et que c’était là son atout principal. Je pense la même chose de Bela Lugosi.
Par ailleurs, Lugosi était sans doute handicapé par son fort accent hongrois. Pas toujours facile de se diversifier avec cela. Karloff était un acteur plein de finesse, à la voix chaleureuse et à l’accent très british. Mais dès que Lugosi apparaît à l’écran, même dans les plus mauvais de ses films, lorsque l’on voit son visage, ses sourires narquois et ses regards menaçants, il se passe quelque chose de fort.
Dans la série des monstres sacrés, Vincent Price est un exemple d’un bon dosage entre présence forte et plutôt bon jeu d’acteur. Idem pour Peter Lorre. Le cas de Klaus Kinski illustre bien un maximum de présence charismatique, avec un jeu qui n’était pas mauvais, mais très spécial. Lui aussi a eu une carrière en dent de scie. Côté femme, Barbara Steele peut être, selon moi, classée dans les acteurs qui doivent leur succès à leur forte présence. Elle est fascinante dans Le masque du démon. Mais son jeu d’actrice n’est pas franchement bouleversant. Dans le cinéma de genre, les « fortes présences » sont sans doute nécessaires, car l’image, plus que la composition d’un personnage, y est mise en avant. Mais il est sûr que c’est moins porteur pour faire carrière. Il y a des cas extrêmes : Reggie Nalder doit sa carrière entièrement à sa présence et à son image.
J’ajouterai aussi Michael Berryman et Richard Kiel.
J’ajouterai aussi un lien vers la suite de THE DEVIL BAT (1940) : DEVIL’S BAT DAUGHTER (1946) de Frank Wisbar.
Avec : Rosemary La Planche, John James, Michael Hale.
Rosemary La Plache incarne sa fille, Nina. Cette derniere souffre de cauchemars et consulte un psychiatre malefique qui la convainc qu’elle est un vampire…
https://www.youtube.com/watch?v=-_URxfieXrM
Ainsi que THE DEVIL BAT avec Lugosi :
https://www.youtube.com/watch?v=V7RHXcGxm-w
un lien valide pour le film :
https://www.youtube.com/watch?v=KOuK_luBN-4