LA MAIN DU DIABLE (1943) de Maurice Tourneur (par Trapard)
Sorti du grenier des Échos d’Altaïr, et plus particulièrement du coin poussiéreux où ont été entreposés les vieux classiques du Cinéma Fantastique Français, LA MAIN DU DIABLE a attiré mon attention de par son univers cauchemardesque.
Tiré de la nouvelle de Gérard De Nerval, « La Main enchantée », dont la seule autre adaptation que je lui connaisse est le téléfilm diffusé par l’ORTF en 1974, LA MAIN ENCHANTÉE, réalisé par Michel Subiela. Le film de Maurice Tourneur, quant à lui, modernise la nouvelle, tout en flirtant parallèlement du côté du mythe de Faust : Roland Brissot est un peintre sans talent et mené par le bout du nez par Irène, sa maîtresse. Brissot acquiert pour un sou une main gauche à un restaurateur. Cette main magique lui apporte le talent et la célébrité, ainsi que l’amour d’Irène, mais elle scelle surtout un pacte avec le Diable, qui réclame son âme en échange. La valeur de rachat de l’âme de Brissot est calculée de façon diabolique : un sou le premier jour, deux sous le deuxième jour… et ainsi de suite, jusqu’à valoir plus de 6 millions de francs le vingt-huitième jour…
Roland Brissot c’est Pierre Fresnay, ce talentueux comédien français qui eut son heure de gloire en pleine seconde guerre mondiale, autant pour ses interprétations dans les films d’Henri-Georges Clouzot, L’ASSASSIN HABITE AU 21 (1941) et LE CORBEAU (1943) que dans cet autre classique du Fantastique français qu’est LA CHARRETTE FANTÔME (1940) de Julien Duvivier. C’est d’ailleurs avec des capitaux allemands que le film fut produit, la production cinématographique française sous l’Occupation favorisant plus particulièrement les adaptations littéraires et même fantastiques.
Outre Noël Roquevert jouant le restaurateur qui se « débarrasse » de la main, un comédien que tout le monde connaît pour ses multiples rôles secondaires sans trop connaître son nom, l’autre comédien impressionnant du film est Pierre Palau. Palau, de par sa petite taille et sa calvitie presque complète, camouflée sous un chapeau melon, est aussi insignifiant et ridicule dans le rôle du Diable, qu’il en devient inquiétant, de par aussi son insistance et ses airs de comptables minutieux. D’ailleurs, plus le film vire au cauchemar, plus ce Diable méticuleux comme un inspecteur du fisc semble être le personnage le plus socialement intégré, en poursuivant Brissot qui finit par se fuir peu à peu lui-même…
Pour conclure, LA MAIN DU DIABLE est un petit classique du Fantastique issu de la Littérature Romantique du XIXième siècle qui, bien que typiquement français de par le jeu de ses comédiens, nous rapproche souvent de l’univers de la série B américaine, de par son ambiance parfois expressionniste et sa réalisation toute en suggestion.
- Trapard -
Autres films présentés dans la catégorie Le Grenier du Ciné Fantastique :
La Charrette Fantôme / La Chute de la Maison Usher / Les Contes de la Lune vague après la Pluie / Frankenstein (1910) / Le Cabinet du Docteur Caligari / La Monstrueuse Parade / Le Fantôme de l’Opéra / Double Assassinat dans la Rue Morgue / Docteur X / White Zombie / The Devil Bat / La Féline (1942) / Les Visiteurs du Soir
(Les Echos d’Altaïr ne sont en aucun cas responsables des liens publicitaires présents dans les textes)
Un film que je n’ai pas eu l’occasion de voir, ce que je regrette bien. Cependant, l’histoire me fait penser à La peau de chagrin d’Honoré de Balzac, publié en 1831, et dont on peut trouver des adaptations pour la télévision. Par association d’idées, il y a aussi le portrait de Dorian Gray qui aborde le thème de la « dette » envers une force démoniaque, en échange d’avantages immédiats.
Merci Trapard et « Les échos » pour cette superbe page.
En fait, on est volontairement loin de Balzac, puisque c’est l’adaptation d’un conte de Gérard De Nerval, qui était un poète romantique, le romantisme étant né en Allemagne.
Ensuite, on a affaire à un pur produit français avec Maurice Tourneur à la réalisation, Pierre Fresnay, Noël Roquevert devant la caméra, mais je ne sais pas trop qui sont les scénaristes (aucune trace de crédits sur imdb). On a affaire à un pur produit français d’apparence, mais produit par la Continental Films, une maison de production national-socialiste allemande, en pleine Occupation française.
On est dans du pur fantastique détaché de toute empreinte sociale concernant la France, sauf au début, puisque le scénario place le décor après la petite intro fantastique, puis le reste du film s’inspire d’un mouvement littéraire allemand pré-romantique, appelé Biedermaier, dans lequel l’étrange s’insinue sournoisement dans une normalité cessant très vite d’être rassurante. J’en parlais au sujet de l’étudiant de Prague ici : http://morbius.unblog.fr/2013/04/16/letudiant-de-prague-1913/
Enfin, lors de certaines séquences, il y a des insertions d’éléments du réalisation de l’Expresionnisme allemand des années 1920, assez proches du style du réalisateur Friedrich Wilhelm Murnau.
On est donc dans un pur produit issu de la culture allemande caché derrière de apparats français, le meilleur moyen d’imposer une culture en douceur sur l’Occupation, finalement. Le résultat donne quelque chose d’excellent, à mon goût, avec le recul, et si on se détache de ces fameuses années 1940.
Par contre, j’avais présenté deux autres films français tournés sous l’Occupation allemande sur Les échos d’Altaïr :
Croisières Sidérales :
http://morbius.unblog.fr/2012/01/25/croisieres-siderales-dandre-zwoboda/
et Les Visiteurs du Soir :
http://morbius.unblog.fr/2013/02/28/les-visiteurs-du-soir-1942/
Mais avec ces deux films, on n’est plus du tout dans une quelconque culture allemande, mais dans du pur fantastique, hors du temps, soit futuriste, soit médiéval.