On connaît surtout « La Bête » du film de Jean Cocteau (et René Clément), LA BELLE ET LA BÊTE (1946). Mais elle est avant tout issue d’un conte de la Culture Germanique, au même titre que la légende de Faust (dont je conseille d’ailleurs, à ceux qui ne le connaîtraient pas, le film de Murnau, FAUST, UNE LÉGENDE ALLEMANDE, 1926, adapté de Goethe).
La Bête, c’est aussi une monstruosité très apparente qui cache une profondeur humaine emplie de tristesse et de solitude, isolée dans une lointaine forêt noire. C’est un peu aussi le peuple allemand vaincu, au sortir de la première guerre mondiale, au milieu de la crise des années 30, et qui se cherche à tout prix un leader politique pour relever la tête. C’est aussi ce que décrit le roman de Vercors, LE SILENCE DE LA MER, écrit sous l’Occupation, et que le Général De Gaulle, après sa quête de réunification politique de la France autours de sa personne, fera vite republier après la guerre, dans une logique de désamorçage de la haine raciale envers l’Allemagne.
Après l’effort cinématographique de guerre, c’est l’effort de Réconciliation, avec LE SILENCE DE LA MER, réalisé en 1947, par Jean-Pierre Melville et avec Howard Vernon dans le rôle de l’officier allemand, et le merveilleux et intelligent LA BELLE ET LA BÊTE de Cocteau, sorti en salles en 1946. L’intrigue est assez claire : une famille française moyenne braillarde et désunie, à l’instar du peuple français se glorifiant d’individualisme grâce à des libertés d’expression acquises très tôt, se retrouve en désaccord avec une lointaine voisine, La Bête, une créature prisonnière de ses propres codes et principes, mais dont chaque objet et élément de son environnement lui obéit au doigt et à l’œil. Sensible, Belle, la cadette de la famille française découvre peu à peu la profonde tristesse que La Bête camoufle derrière son apparence bestiale. Les frères de Belle ne voient pas de cet œil la relation complice entre La Belle et La Bête, et victimes des apparences, ils viennent terrasser le Monstre. Cocteau concluant son film par une note poétique, puisque c’est grâce à un geste céleste, issu de la Grèce très Antique, que La Bête se transforme telle que Belle aurait finalement pu la voir intérieurement, sans nous expliquer s’il s’agit, encore une fois, d’une apparence trompeuse. Mais c’est un peu, comme une fausse piste que Cocteau proposerait à chaque spectateur de creuser sa propre réalité, de ce que pourrait finalement être cette « Bête », avec, à chacun, son propre filtre, et ceci grâce au fil de ses expériences personnelles. Un beau choix de nouveau départ d’après-guerre, somme toute.
Et bien entendu, pour Cocteau, La Bête et celui qui tente de la tuer, à l’instar des peuples allemand et français d’après-guerre, sont la seule et même personne : l’Humain. C’est donc Jean Marais, sous deux apparences différentes, l’une ne pouvant finalement tuer l’autre, car il s’agirait d’un fratricide, car, pour Jean Cocteau, tout humain est issu d’une seule et même origine : non pas la Préhistoire, ni l’Eden de l’Ancien Testament, mais leur alter-égo abstrait, poétique et unificateur : l’Antiquité. D’ailleurs, La Bête refusant de voir son propre reflet dans un miroir comme l’aurait volontiers fait Narcisse, c’est tout le film qui est comme un jeu de miroirs. Chaque reflet semble s’inverser entre la Beauté et la Laideur. Ces mêmes-miroirs semblant nous renvoyer, à nous spectateurs, des reflets de luminosités aigües dans les yeux, avec les effets blanchâtres des éclairages et des décors du film, pour mieux nous forcer à baisser le regard, et nous forcer à mieux nous concentrer sur un sujet profond que nous avons déjà, chacun au fond de nous, et peut-être, au sein d’une Enfance que nous refoulons peu à peu, devant la colère et l’angoisse. Comme le simple principe des contradictions et des complémentarités, base de tout équilibre humain…
Une Bête, Monstre Sacré du Fantastique donc, mais aussi une image floue de toutes les apparences quelles qu’elles soient, sur laquelle Les Échos d’Altair se voulaient de faire un peu de netteté.
- Trapard -
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Malgré son petit côté mièvre, ce film est appréciable par son ambiance onirique qui nous transporte dans un tout autre monde. Que peut-on demander de plus au cinéma, si ça n’est de nous faire voyager, au-delà du temps, de l’espace et même de la réalité ?… (Comme c’est beau).
Franchement, j’ai trouvé la version de Christophe Gans plutôt bonne. Et comme Gans essayait de faire différent avec chaque scène et avec chaque réplique, je me suis surpris de me rendre compte que je connaissais par coeur les dialogues du film de Cocteau.
Par contre, y’en a marre de voir la tronche de Vincent Cassel à tout bout de champ, ça devient autant un leitmotiv qu’avec Depardieu…La France ne manque pas de comédiens.