LA BEAUTÉ DU DIABLE (1949) de René Clair (par Trapard)
Pour écrire quelques mots sur le parcours de René Clair : il fait partie de la faction des Surréalistes qui se sont lancés dans la réalisation et l’exploitation de leurs films à partir du début des années 1920, dont les deux films de Luis Bunuel et Salvador Dali, UN CHIEN ANDALOU (1929) et L’ÂGE D’OR (1930), sont surtout les plus connus aujourd’hui. René Clair, Fernand Léger, Man Ray ont aussi tourné des court-métrages et moyen-métrages surréalistes incontournables, lors cet élan artistique très créatif, et politiquement proche du Parti Communiste Français. Même le réalisateur Claude Autant-Lara dont on connaît la carrière politique au Front National, a débuté dans la réalisation de films au sein du mouvement cinématographique des Surréalistes.
René Clair, après son magnifique ENTR’ACTE réalisé justement pour meubler l’entracte d’un spectacle de danse en 1924 (un élan créatif inspiré de celui de l’URSS naissante, comme du réalisateur soviétique Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein), s’est d’abord spécialisé dans un cinéma prolétaire et communautariste dans les années 1930 (SOUS LES TOITS DE PARIS et À NOUS LA LIBERTÉ!). Puis, au cours des deux décennies suivantes, il s’attachera à tourner de très bonnes adaptations littéraires françaises ou européennes, comme ici avec cette BEAUTÉ DU DIABLE d’après le « Faust » de Goethe.
L’intrigue en est archi-connue : Le très âgé professeur Faust (Michel Simon) est plein de regrets à l’approche de la mort. Méphistophélès (Gérard Philipe) apparaît alors comme par enchantement pour lui proposer un pacte : vendre son âme en échange de la jeunesse et de la richesse…
Ancré socialement, l’intrigue vogue dans un « réalisme poétique » cher à Jacques Prévert. La France très politisée de la première moitié du XXè siècle étant très peu friande de Cinéma Fantastique à l’américaine, le « réalisme poétique » à la française proposait alors une approche assez littéraire de l’imaginaire, et une métaphore poétique de la société et des individus qui la constituent. Une approche philosophique humaine qui ouvrait finalement le cinéma français, assez communautariste, à des questionnement plus universels. Une brèche dans laquelle s’engouffrera Geoges Franju, dans les années 60, avec LES YEUX SANS VISAGE et ses films magnifiques, ainsi que les différents téléfilms tournés et diffusés par l’ORTF qui ciblait un jeune public des années 60 et 70 qui désirait « s’ouvrir au monde ».
LA BEAUTÉ DU DIABLE est donc à cheval sur deux mondes, visant un public large, ce que tentait déjà le tandem Marcel Carné-Jacques Prévert en lançant un « réalisme poétique » qui était déjà un peu censé « détacher l’esprit français de ses frontières hexagonales »… La télévision française des années 80 continuera ce parcours avec ma génération, et internet faisant évoluer les générations suivantes au-delà de « nouvelles frontières ».
Mais je m’éloigne de LA BEAUTÉ DU DIABLE de René Clair, qui est bien entendu une relecture poétique, donc non chrétienne, de la peur devant l’approche de la mort, ce dont l’écrivain Johann Wolfgang von Goethe s’était joué en lançant en Allemagne le Romantisme littéraire et philosophique faisant de l’Homme très peu de choses, se débattant face à l’immensité de la Nature, du Monde et de sa propre Ignorance finalement. À ce sujet, je conseille de revoir AGUIRRE, LA COLÈRE DE DIEU (1972) de Werner Herzog, qui exprime pleinement ce qu’est le Romantisme allemand, autant philosophiquement que picturalement, comme pourrait l’être un tableau du peintre romantique Caspar David Friedrich qui écrasait ses personnages au sein d’une nature imposante. Une philosophie rabaissant l’individu au sein de son environnement, qui ne pouvait qu’engendrer l’écriture et la parution de ce texte romantique allemand, qu’est le « Manifeste du Parti communiste » écrit par Karl Marx. Mais dans un sens ou dans l’autre, l’industrialisation à outrance de la planète et la démographie galopante nous prouve, depuis quelques années, que le schéma romantique s’inverse totalement de manière dramatique, comme si l’angoisse de l’Homme face à sa propre ignorance lui devenait finalement fatale…
Nous sommes donc ici très loin d’un Romantisme social et historique « à la française », de Victor Hugo. Personnellement, je préfère, et de loin, l’oeuvre d’un Théophile Gautier, qui me semble être une meilleure transition entre les Romantismes allemand et français avec, par exemple, sa nouvelle « La Morte Amoureuse » (1836). Mais concernant LA BEAUTÉ DU DIABLE, la « francisation » du film, si je puis dire, pour parler de l’adaptation d’un sujet de la culture allemande très profond, pour un public français, elle se fait par un mélange de théâtralité et de d’interprétations plus modernes, comme si le metteur en scène jonglait régulièrement entre classicisme et modernisme, le choix des deux comédiens que sont Michel Simon et Gérard Philipe n’échappant pas à cet exercice de style. Simon et Philipe alternent d’ailleurs très régulièrement, par la magie du film, leurs personnages respectifs, un peu comme si René Clair cherchait à brouiller les différences entre deux personnes de générations différentes, et souvent opposées. Un thème qui ne peut rester qu’actuel, à l’émergence de toutes nouvelles générations.
Le mythe grec d’Orphée et d’Eurydice est aussi légèrement effleuré dans le film de René Clair, ce qui inspirera peut-être à Jean Cocteau l’idée d’adapter au cinéma, l’année suivante, sa propre pièce de théâtre, ORPHÉE (1950).
Mais aussi, et plus simplement, LA BEAUTÉ DU DIABLE est un beau film à l’histoire captivante, parfois amusant, et d’autres fois assez sombre, qui fait partie intégrante du GRENIER DU CINÉ FANTASTIQUE de ce blog : une rubrique où sont répertoriés de vieux films poussiéreux, qui sont aussi, parfois, les clés d’un passé qui s’éloigne et qui peut laisser entrevoir, entre deux génériques, des bribes de l’évolution de l’industrie cinématographique et des moœurs d’antan, dont on a hérité les inconvénients ou les avantages, sans jamais trop le savoir…
- Trapard -
Autres films présentés dans la catégorie Le Grenier du Ciné Fantastique :
La Charrette Fantôme / La Chute de la Maison Usher / Les Contes de la Lune vague après la Pluie / Frankenstein (1910) / Le Cabinet du Docteur Caligari / La Monstrueuse Parade / Le Fantôme de l’Opéra / Double Assassinat dans la Rue Morgue / Docteur X / White Zombie / The Devil Bat / La Féline (1942) / Les Visiteurs du Soir / La Main du Diable / Le Récupérateur de Cadavres
(Les Echos d’Altaïr ne sont en aucun cas responsables des liens publicitaires présents dans les textes)
Laisser un commentaire