ULYSSE (1955) de Mario Camerini
ULYSSE (Ulisse) est une production italienne de la fameuse Lux Films, tournée en pleine apogée de superbes fresques américaines, la même année que L’ÉGYPTIEN (The Egyptian) et ATTILA, ROI DES HUNS (Sign of the Pagan), les films respectifs de Michael Curtiz et de Douglas Sirk, et qui lancera la longue mode du « peplum spaghetti » dont Hercule, Maciste et autre Samson affronteront autant de légions romaines, que de créatures démoniaques plus ou moins mythologiques.
ULYSSE reprend l’intrigue de « l’Odyssée », l’épopée généralement attribuée au poète Homère : Ulysse, roi de l’île d’Ithaque, est parti, depuis plusieurs années, participer au siège de Troie. Après la prise de la cité, son voyage de retour par la mer va être retardé par de nombreux dangers comme sa rencontre avec le cyclope Polyphème, avec la magicienne Circé ou avec le chant des maléfiques Sirènes. Pendant ce temps, à Ithaque, sa femme Pénélope doit affronter d’autres épreuves : intéressés par l’accession au trône, de multiples soupirants, affirmant qu’Ulysse est mort, la pressent de les prendre pour époux. La reine retarde l’échéance en promettant de choisir son nouveau mari dès qu’elle aura achevé le tissage de sa grande tapisserie : chaque nuit, elle défait son travail de la veille…
Ce peplum italien de Mario Camerini trouve sa place sur Les Échos d’Altaïr uniquement à cause de l’univers fantastique qui est développé dans le film et qui est, bien entendu, inhérent à l’épopée mythique d’Ulysse, s’inscrivant dans une Mythologie de l’Antiquité Grecque chargée de symboles tant sociaux, psychologiques que philosophiques. Loin d’être en reste, et devant le succès international d’ULYSSE, et notamment grâce à l’interprétation du film par des comédiens américains, comme Kirk Douglas et Anthony Quinn, l’Italie lancera L’ESCLAVE DE CARTHAGE (1956, Le schiave di Cartagine) réalisé par Guido Brignone (qui tournait déjà les aventures de Maciste dans des peplums muets et souvent fantastiques dans les années 1920), et interprété par la superbe Gianna Maria Canale.
Le chef-opérateur, Mario Bava, ayant participé à la réalisation d’ULYSSE, remplaçant sur certaines scènes Mario Camerini, en fera de même sur d’autres peplums co-produits en Italie et les États-Unis, comme LA BATAILLE DE MARATHON (1959, La battaglia di Maratona) de Jacques Tourneur, ou en tournant la version italienne d’ESTHER ET LE ROI (1960, Esther and the King) de Raoul Walsh, puis en co-réalisant enfin HERCULE CONTRE LES VAMPIRES (1961, Ercole al centro della terra) avec Franco Propsperi.
Dans cette logique, Sergio Leone, déjà réalisateur d’une seconde équipe sur la partie italienne du tournage de QUO VADIS (1951) de Mervyn LeRoy, participera à la réalisation des DERNIERS JOURS DE POMPEI (1959, Gli ultimi giorni di Pompei) de Mario Bonnard, avant de tourner son propre COLOSSE DE RHODES (Il colosso di Rodi) en 1961.
Puis, viendra le fameux diptyque LES TRAVAUX D’HERCULE (1958, Le fatiche di Ercole) et HERCULE ET LA REINE DE LYDIE (1959, Ercole e la regina di Lidia) avec Steve Reeves, Sylva Koscina et Gianna Maria Canale, et ses dérivés, dont les génériques s’américaniseront largement. Puis les co-productions avec la France, l’Espagne, l’Allemagne suivront…
Mais juste pour citer quelques fabuleuses scènes fantastiques (souvent très, très kitchs et très mal fichues), de peplums italiens des années 60, souvenez-vous de celles où Hercule (incarné par Mark Forest) combat le Dieu Cyclopéen, ou encore l’Horrible(-ment mal animé), Cerbères, chien tricéphale cracheur de flammes, dans les entrailles du brumeux Royaume des Ombres, dans LA VENGEANCE D’HERCULE (1960, La vendetta di Ercole) de Vittorio Cottafavi. Celles encore, où Hercule (avec Reg Park, cette fois-ci, un ex-Mister Univers) exerce la fameuse force qui lui est éponyme dans l’univers merveilleux d’HERCULE À LA CONQUÊTE DE L’ATLANTIDE (1961, Ercole alla conquista di Atlantide) de Cottafavi, ou lorsqu’il affronte le mort-vivant, (sous les traits de Christopher Lee), d’HERCULE CONTRE LES VAMPIRES (1961, Ercole al centro della terra) de Mario Bava. Celles encore où Maciste (joué par l’ex-Tarzan, Gordon Scott) combat les forces occultes du terrible Kobrak (si, si!) dans MACISTE CONTRE LE FANTÔME (1961, Maciste contro il vampiro) de Giacomo Gentilomo. Ou lorsqu’il affronte (sous les traits d’Alan Steel) les hommes rocheux guidés par la Reine Samar, tout droit débarquée de la Lune (non, mais arrêtez de croire que je plaisante !) dans MACISTE CONTRE LES HOMMES DE PIERRE (1964, Maciste e la regina di Samar) du même Gentilomo. Ou encore celles où Hercule (incarné maintenant par Kirk Morris) est confronté aux attaques des hommes de métal (non ?), au cours de ses aventures parmi les Bédouins (et si !) dans GOLDOCRACK À LA CONQUÊTE DE L’ATLANTIDE (1965, Il conquistatore di Atlantide) d’Alfonso Brescia.
Sans oublier les très, très anachroniques MACISTE CONTRE LES COUPEURS DE TÊTES (1960), MACISTE EN ENFER (1962, dans lequel il affronte la Sainte-Inquisition du XIIè siècle…), TOTO CONTRE MACISTE (1962), MACISTE CONTRE ZORRO (1963), MACISTE À LA COUR DU TZAR (1964), ou MACISTE ET LES FILLES DE LA VALLÉE (1964, dans lequel, il voyage jusqu’aux espaces désertiques de l’Arabie…). Et en j’en passe pour vous éviter un entremêlement indélicat et subversif des neurones… Mais à savoir que ces anachronismes cinématographiques étaient déjà présents dans les nombreux « Maciste » tournés en Italie dans les années 1920, un peu comme un éternel couplet surréaliste issu de la « Divine Comédie » de Dante Alighieri, Maciste lui-même n’étant pas du tout issu de la mythologie mais du peplum muet, CABIRIA (1913) de Giovanni Pastrone…
Mais je n’oublierai surtout pas de citer le farfelu dérivé américain, HERCULE À NEW YORK (1970, Hercules in New York) de Arthur Allan Seidelman, (et ceci, peu de temps avant le déclin de la production massive des peplums italiens) dans lequel, Hercule (joué enfin par un ex-Mister Univers que nous connaissons tous : Arnold Schwarzenegger), lassé d’une vie longue de plusieurs siècles sur le mont Olympe, décide de passer à la vie citadine, et débarque à New-York, en 1969, vêtu d’une simple toge et d’un sympathique air benêt…
Mais on s’éloigne beaucoup d’ULYSSE, un film spectaculaire et amusant, de Mario Camerini, qui regorge, lui aussi, de scènes fantastiques cultes dont celle où le géant Polyphème s’en prend aux compagnons d’Ulysse. Le comédien Umberto Silverstri, maquillé en cyclope, étant souvent filmé de très près, tandis qu’un mannequin d’environ 10 mètres de hauteur, était actionné mécaniquement par des fils et un soufflet et servait aux scènes plus spectaculaires.
Grâce à la présence de Kirk Douglas, excellent et drôle dans le rôle d’Ulysse (un rôle en toge, qui le mènera sûrement à celui de SPARTACUS, en 1960) et d’Anthony Quinn en Antinoos, prétendant de Pénélope et rival de son mythique mari, la Lux Films en profita pour offrir des rôles de choix à deux superbes comédiennes, dont l’Italie a longtemps détenu le secret de la recette, qu’étaient Silvana Mangano (dans le double rôle scénaristiquement ambivalent de Pénélope et de Circé) et Rosana Podestà (interprétant la jeune et jolie Nausicaa). ULYSSE, comme la plupart des péplums fantastiques cités plus haut, propose aussi son lot de décors en carton-pâte scintillants de paillettes colorées et aux éclairages criards et ultra-kitschs (souvent accompagnés d’accords très graves et minimalistes, joués au synthétiseur… et avec un seul doigt, s’il vous plaît !). Des détails qui étaient presque la marque de fabrique d’un « Merveilleux » à l’italienne du milieu des années 50 jusqu’aux années 70, et qui firent les belles heures, en salles ou en VHS, de nombreux jeunes spectateurs émerveillés.
Une série B italienne, et un peplum toujours aussi fascinant que cet ULYSSE, qui ira se ranger directement aux côtés des classiques de la rubrique du Grenier du Ciné Fantastique de ce blog.
- Trapard -
Autres films présentés dans la catégorie Le Grenier du Ciné Fantastique :
La Charrette Fantôme / La Chute de la Maison Usher / Les Contes de la Lune vague après la Pluie / Frankenstein (1910) / Le Cabinet du Docteur Caligari / La Monstrueuse Parade / Le Fantôme de l’Opéra / Double Assassinat dans la Rue Morgue / Docteur X / White Zombie / The Devil Bat / La Féline (1942) / Les Visiteurs du Soir / La Main du Diable / Le Récupérateur de Cadavres / La Beauté du Diable / Un Hurlement dans la Nuit / The Mad Monster / La Tour de Nesle / L’Étudiant de Prague / Les Aventures Fantastiques du Baron de Münchhausen / Torticola contre Frankensberg
Au milieu de mon article, j’ai écrit :
« Mais à savoir que ces anachronismes cinématographiques étaient déjà présents dans les nombreux « Maciste » tournés en Italie dans les années 1920, un peu comme un éternel couplet surréaliste issu de la « Divine Comédie » de Dante Alighieri, Maciste lui-même n’étant pas du tout issu de la mythologie mais du peplum muet, CABIRIA (1913) de Giovanni Pastrone… »
À savoir que la « Divine Comédie » de Dante Alighieri a été adaptée par le cinéma italien dès 1911. C’est un mélange poétique de sentiments chrétiens sur fond d’imageries liées à la
mythologie grecque antique et inspirées des gravures de Gustave Doré, et l’histoire mélange l’oeuvre de Dante, tout en l’intégrant à sa propre création, et comme son titre l’indique (« L’Enfer »), il s’agit de l’adaptation cinématographique d’un des chapitres de la « Divine Comédie ».
Merci au passage à Eric, du groupe FB de LEA, puisque c’est indirectement grâce à lui (il comprendra) que j’ai pu découvrir cette forme poétique de peplum qui précède la fameux « Cabiria » cité plus haut En dessous, le lien IMDB :
http://www.imdb.com/title/tt0002130/?ref_=fn_al_nm_1a
Et pour ceux qui ne connaissent que le Maciste du cinéma italien des années 50-60, la première série des Maciste (interprétée par Bartolomeo Pagano, qui incarnait déjà le héros à la force incroyable dans « Cabiria ») se divise en une période italienne (jusqu’en 1922), une allemande (de 1922 à 1924) et une seconde italienne (de 1924 à 1927) aux mises en scène plus
soignées. Le plus intéressant est « Maciste aux enfers » (1925) de Guido Brignone, avec ses femmes démoniaques, décors fantastiques inspirés par les gravures de Gustave Doré et effets spéciaux signés Segundo de Chomon (le contemporain espagnol et l’un des rivals de Georges Méliès pour ses courts métrages fantasmagoriques des débuts du cinématographe)
Film qui a poussé Federico Fellini à faire du cinéma et qui a influencé plus ou moins directement Luigi Cozzi.
Juste après « Cabiria », le tout premier Maciste date de 1915 et il est, tout simplement titré « Maciste ». Comme dans les Maciste des 60′s, il y avait déjà un décalage avec l’Histoire et le Peplum, par soucis d’éviter de nouvelles dépenses très onéreuses comme sur la fresque « Cabiria » que l’Italia Film a développé l’intrigue de « Maciste » (1915) de la manière astucieuse suivante :
Une désespérée jeune fille et sa comtesse de mère se voient spolier de leur héritage par un oncle rapace et sa clique de sbires à ses services. La demoiselle, parvenue difficilement à s’évader, trouve refuge dans une salle de cinéma où l’on projette « Cabiria » avec le célèbre Maciste, qu’elle va contacter aux studios de l’Italia Film, pour demander son aide.
Commence alors une délirante aventure, où notre musculeux héros, à l’incommensurable force, va finalement faire triompher la justice en provoquant l’arrestation de la bande de malfrats …..
Je pense que la justification des anachronismes de nombreux Maciste, Hercule, Goldocrack & co, trouvent leur souce dans cette logique et dans le manque de moyens financiers, bien évidemment.