SUR UN AIR DE CHARLESTON (1927) de Jean Renoir
Pour Le Grenier du Ciné SF, voici un OVNI cinématographique des années 20 signé Jean Renoir. D’abord, associer Jean Renoir à de la Science-Fiction peut sembler plutôt incongru. Pour m’expliquer en résumant la carrière du cinéaste, fils du peintre Auguste Renoir, celui-ci a tourné de 1924 jusqu’à la Seconde Guerre mondiale de beaux films aux sujets populaires, mettant souvent à bas la notion de héros. Il participera même aux efforts cinématographiques militants du Front Populaire avec le film tourné à la manière du collectivisme bolchevik LA VIE EST À NOUS (1936), ou la très belle adaptation du roman de Maxime Gorki LES BAS-FONDS (1936), avec Jean Gabin et Louis Jouvet. Puis après une poignée de films qui annoncent déjà la prochaine guerre mondiale (LA GRANDE ILLUSION, 1937, LA RÈGLE DU JEU, 1939) ou qui cristallisent la naissance de la République et le Naturalisme de Gauche (LA MARSEILLAISE, 1938, LA BÊTE HUMAINE, 1938), Jean Renoir fuit les accords entre Vichy et l’Allemagne nazie pour tourner aux États-Unis quelques films anti-nazis et pro-américains (VIVRE LIBRE, 1943, SALUT LA FRANCE, 1946). La suite de sa carrière, durant les années 50 jusqu’aux années 70, se situera plutôt du côté de la littérature en adaptant nombre de romans ou de pièces de théâtre, mais toujours avec un effort de créativité au niveau de la forme de ses films.
Alors que fait donc ce film de science-fiction au milieu de la carrière cinématographique d’un homme de Gauche convaincu ? Déjà, Jean Renoir fut un des réalisateurs du cinéma français a avoir été commandité par l’ORTF dès 1959 pour tourner une des rares (pour l’époque) adaptations françaises du roman de Robert-Louis Stevenson, « Docteur Jekyll et Monsieur Hyde », LE TESTAMENT DU DOCTEUR CORDELIER, un film fantastique qui dénonçait plus ou moins un hypocrisie à la française. Ensuite, pour en revenir à SUR UN AIR DE CHARLESTON, il a été tourné dans les années 1920, une époque, graphiquement très créative, y compris dans nombre de films en France. Jean Renoir a d’ailleurs, tourné en 1928, l’année suivante, le beau film adapté du conte de Hans Christian Andersen, LA PETITE MARCHANDE D’ALLUMETTES, un film au sujet socialement engagé dont la seconde partie dévie sur une forme d’onirisme, plongeant le spectateur dans l’irréalité et le merveilleux à l’aide de visuels et de graphismes étonnants.
SUR UN AIR DE CHARLESTON prend alors son sens, puisque tourné en 1927 à l’aide de visuels décalés, parfois proches de celui de l’expressionnisme très à la mode en Allemagne à cette époque. Le sujet est, quant à lui, comme un pied de nez à certains clichés de l’époque, ou à certaines réalités sociales, mais abordés grâce à un alibi science-fictionnel.
L’intrigue : En 2028, la Terre se disloque par un recouvrement glaciaire, mais un savant d’Afrique du Sud parvient à partir en exploration dans l’espace à l’aide d’un missile spatial. Il découvre une sauvagesse blanche, accompagnée d’un chimpanzé, qui l’initie à une danse barbare : le Charleston…
Jean Renoir prend donc à revers certains clichés racistes de l’époque et s’amuse à alterner entre science-fiction et scènes complètement surréalistes, précédant de deux ans UN CHIEN ANDALOU (1929) de Luis Bunuel et Salvador Dali.
Le tournage du film fut assez intimiste, et le producteur Pierre Braunberger, les scénaristes, Pierre Lestringuez et André Cerf et Jean Renoir lui-même, jouent dans le film, comme cela se faisait souvent dans les courts métrages tournés par les surréalistes. Les deux comédiens principaux, Johnny Higgins et Catherine Hessling (l’épouse de Jean Renoir) étant des danseurs de claquettes issus du spectacle « La Revue Nègre », Johnny Higgins étant grimé en noir, comme Al Jolson l’a fait la même année, aux États-Unis, pour interpréter LE CHANTEUR DE JAZZ. Insistant sur la provocation anti-raciste, SUR UN AIR DE CHARLESTON est même ouvertement très érotique, Catherine Hessling, de par sa forme physique de danseuse, prend des positions très suggestives pour jouer la sauvagesse sexuellement alerte, lorsqu’elle ne danse pas le fameux Charleston des années 20 avec des mouvements exagérés au montage, avec des accélérés, des ralentis ou des superpositions d’images. Mais aussi, avec un athlétisme qui alterne entre raideur physique et lascivité…
Mais je n’en dis pas plus, au cas où certains auraient envie de le découvrir. Je terminerai seulement cette rubrique du mardi en indiquant que ce film de Jean Renoir se situe dans la logique de ceux que René Clair, Max Ernst, Ferdinand Léger, Marcel L’Herbier, Luis Bunuel et d’autres encore, ont tourné dans ces années 1920 bourrées de quêtes artistiques innovatrices. Mais des films aussi, qui n’ont eu que peu de succès, ou alors celui produit par des publicités basées sur la provocation et le scandale, et qui ne deviendront des classiques du Cinéma seulement des années plus tard…
- Trapard -
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Puisque je parle dans ce texte, des débuts de Renoir avec les Surréalistes et de l’onirisme de son film LA PETITE MARCHANDE D’ALLUMETTES (1928) : à voir aussi, la superbe scène du cauchemar de Gudule dans LA FILLE DE L’EAU (1925), son premier film (encore trouvable aujourd’hui). Un très beau mélange d’expressionnisme, de surréalisme, et de cette forme de gothique à la française que le cinéaste Jean Rollin adoptera dans ses films des années 1960-70.
Sinon, à peine un an avant la sortie en salles de SUR UN AIR DE CHARLESTON (1927), Felix the Cat se faisait carrément expulser de la Planète Mars parcequ’il y dansait le charleston avec sa petite amie dans le court-métrage d’animation surréaliste FELIX THE CAT FLIRTS WITH FATE (1926).
https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=FwINMjjlckg
SUR UN AIR DE CHARLESTON, le film en entier :
https://www.youtube.com/watch?v=MPArdwJ7wx0