LA FEMME SUR LA LUNE (1929) de Fritz Lang
Après son sublime film futuriste, METROPOLIS (1927) dont nous avions déjà touché deux mots dans Le Grenier du Ciné SF, Fritz Lang a réalisé une autre forme d’anticipation sur un thème qui faisait déjà rêver l’Europe dans les années 1920 : le voyage dans l’espace, autrement dit le space-opéra. Produit par la fameuse UFA (qui deviendra l’organisme officiel de propagande de Josef Goebbels à partir de 1933), juste avant le krach boursier de 1929, LA FEMME SUR LA LUNE (Frau im Mond) est le dernier film muet de Fritz Lang, encore une fois co-écrit avec sa femme Thea von Harbou (d’après son roman « Une Femme dans la Lune » paru en 1928).
L’intrigue : Ridiculisé par ses confrères scientifiques, alors qu’il prétendait qu’il existait des mines d’or sur l’astre lunaire, le professeur Manfeldt se laisse sombrer dans la mélancolie. Trente ans plus tard, le technicien Wolf Helius souhaite construire une fusée pour aller sur la Lune. Friede Velten et l’ingénieur Hans Windegger sont intéressés par ce projet. Un groupement financier contrôlant le marché de l’or impose sa participation à leur expédition. Le professeur Manfeldt, alors très âgé, sera lui aussi de l’expédition…
En 1929, Fritz Lang est déjà très éloigné du mouvement expressionniste auquel il a plus ou moins participé, bien qu’il subsiste quelques effets de style dans LA FEMME SUR LA LUNE. Mais à partir de METROPOLIS, le réalisateur allemand est déjà un virtuose concernant les graphismes visuels, les jeux de lumières, et LA FEMME SUR LA LUNE est visuellement très beau et extrêmement maîtrisé. D’ailleurs, pour ce qui est des effets spéciaux, Fritz Lang a engagé Oskar Fischinger, un réalisateur allemand de films d’animations qui a beaucoup tourné dans les années 1920 et 1930, notamment des court-métrages abstraits en pixilisation (stop-motion) à l’aide de pâte à modeler, qui sont facilement visibles sur le web. Ses trucages se mêlent à merveille au film et contredisent, pour la partie spatiale, et les scènes d’alunissage, l’aspect très métallique du reste de l’intrigue. Avec LA FEMME SUR LA LUNE sorti en 1929, nous sommes déjà dans le pur space-opéra, ce que AELITA du Soviétique Yakov Protozanov, tourné à peine cinq ans plus tôt, ne faisait encore qu’effleurer, en quelque sorte.
Une anecdote importante concernant l’importance de ce film dans le cinéma de science-fiction : LA FEMME SUR LA LUNE inaugure la tradition du compte à rebours dans le domaine de l’astronautique lors du lancement d’une fusée. Fritz Lang s’en explique ainsi : « Quand j’ai tourné le décollage de la fusée, je me disais : » Si je compte un, deux, trois, quatre, dix, cinquante, cent…, le public ne sait pas quand le décollage aura lieu. Mais si je compte à rebours dix, neuf, huit, sept, six, cinq, quatre, trois, deux, un — cela devient très clair ».
La fusée était, pour l’époque, extrêmement réaliste, à tel point qu’après la sortie du film, à la montée des nazis au pouvoir, on ordonna de détruire les maquettes de l’engin spatial du film, cette dernière « étant de nature à nuire au secret qui devait entourer la conception des V2 ». Si vous voulez en savoir plus sur les fameux missiles V2 (ou fusées A42) qui sont les premiers missiles balistiques opérationnels et les véritables « prototypes » des premiers lancers de l’ère spatiale, développés par l’Allemagne nazie dès 1938, je vous conseille cet excellent documentaire.
Les nazis rendront néanmoins à César ce qui appartient à César en réalisant un petit hommage humoristique à LA FEMME SUR LA LUNE, à l’aide d’un petit dessin visible sur l’empennage de la fusée A4/V4 qui était le premier prototype de V2 tiré avec succès en octobre 1942. Le bédessinateur belge, Hergé, s’inspirera lui aussi clairement de la fusée, et de plusieurs détails du film pour ses BD, « Objectif Lune » et « On a marché sur la Lune », les deux aventures spatiales cultissimes de Tintin et Milou, publiées au début des années 50.
LA FEMME SUR LA LUNE est interprété par Willy Fritsch, un jeune premier d’origine polonaise qui incarne le héros du film, Wolf Helius. Mention spéciale pour la comédienne d’origine croate, Gerda Maurus, que Fritz Lang s’est appliqué à rendre superbe à l’écran, tout le long du film.
Outre quelques improbabilités, particulièrement pour les scènes se déroulant sur le satellite (nous sommes tout de même en 1929 !), LA FEMME SUR LA LUNE est une véritable œuvre épique de science-fiction de presque 3 heures, et qui trouvera la place qui lui est due dans la rubrique du Grenier du Ciné SF de LÉA.
- Trapard -
Autres films présentés dans la catégorie Le Grenier du Ciné SF :
Flash Gordon, de la BD aux serials / Croisières Sidérales / Aelita / Man Made Monster / Metropolis / Things to come / Docteur Cyclope / L’Ennemi sans Visage / Sur un Air de Charleston
J’ai trouvé une vidéo incroyable : un faux documentaire de propagande nazi d’environ 20 minutes et de 1937 (!!) qui raconte l’histoire de la conquête spatiale par l’Allemagne…
On y voit un vrai voyage vers la Lune et des explications très logiques pour 1937 sur la manière de diriger la fusée.
LE VOL DU SPATIONEF 1 (1937, Weltraumschiff 1 startet…) réalisé par Anton Kutter.
http://img12.nnm.me/f/e/3/f/7/7db4d5ca070331d00c8c02327d0.jpg
https://www.youtube.com/watch?v=f8XLGCz13DQ