THE SAVAGE GIRL (1932) d’Harry Fraser
THE SAVAGE GIRL n’est pas à proprement parler un film fantastique, mais il reflète cette fantasmagorie autours de l’Afrique noire, avec ce charme désuet qu’inspirait l’Inconnu derrière la jungle sauvage, sa faune dangereuse non répertoriée, ses tribus aux mœurs inconnues et hostiles. Et ce besoin d’aventure, que le spectateur lambda compensait derrière la force de Tarzan, l’Homme-Singe blanc, sous les traits de Johnny Weissmuller, de Buster Crabbe, de Bruce Bennett ou de Glenn Morris, des comédiens ayant tous les quatre incarné Tarzan, bien que l’Histoire aime à ne retenir que le très fade Weissmuller. C’est d’ailleurs nettement plus dans les TARZAN avec Bruce Bennett et Glenn Morris que l’on retrouve cet univers d’aventure, à la limite du Fantastique, des futurs Indiana Jones, par exemple, que dans les grands classiques avec Weissmuller. Bennett et Morris y découvraient déjà des civilisations mystérieuses de l’Asie, de l’Amérique du Sud, ou des contrées berbères, là où les aventures de Weissmuller se limitaient à l’Afrique noire et à son bref séjour à New-York en compagnie de Jane et de Cheeta. À la limite, les héros de BD et de serials que sont RICHARD LE TÉMÉRAIRE (1937) et JIM LA JUNGLE (1937) vivent des aventures nettement plus irréelles que celles que Tarzan/Weissmuller nous a fait vivre, depuis plusieurs générations, à travers les nombreuses diffusions TV. Sans oublier que JIM LA JUNGLE est un aventurier, et héros d’une Jungle très étrange où se côtoient sans complexe des tigres et des lions. Et pour confirmer un certain dicton : dans les années 30, malgré le danger, le ridicule n’est jamais parvenu à tuer nos virils aventuriers. Mais en même temps, une scène de baston cinématographique entre un lion et un tigre, ça vaut bien son pesant de bonbons Haribo en or !
Mais il existe aussi des Tarzan pour les garçons, et la SAVAGE GIRL en est un exemple, au même titre que les SHEENA ou JUNGLE GIRL : des femmes tout autant sauvages que Tarzan, et tout aussi physiquement européennes, et généralement très belles, mais toujours plus faibles que les hommes. Cela découle par conséquent de soi, qu’on les retrouve donc, très souvent ligotées ça et là, à un arbre ou à un poteau, à la manière du « bondage » du BDSM. Ou encore, à la merci de saligauds libidineux, attirés par l’attrait de la peau de léopard, porté comme une robe très courte, mais qui concluent finalement leur larron, dans les bras d’un énorme gorille, protecteur de la douce sauvageonne, qui emmène le tricheur loin, très loin, dans les fin-fonds de la jungle (« Gare au gorille ! » : Georges Brassens nous avait pourtant prévenu…). Tout un univers de sexualité légèrement sous-entendue qui vient, évidemment, de la bande-dessinée américaine des années 30 et 40. Des BD très mal perçues, mais, par contradiction, qui se vendaient particulièrement bien…
Et dans cette petite production de la Monarch Film Corporation qu’est THE SAVAGE GIRL, sortie dans la foulée du premier TARZAN de la Metro-Goldwyn-Mayer, on n’échappe à aucune de ces règles : belle et faible, c’est la jolie Rochelle Hudson qui incarne la Savage Girl, une enfant sauvage, devenue une jeune et belle femme retrouvée dans la jungle au milieu de quelques animaux qui lui obéissent et à qui elle le rend bien. Une bonne sauvageonne, autrement dit.
On n’échappe pas, non plus, aux énormes clichés hollywoodiens, sur les porteurs africains qui accompagnent l’expédition d’une poignée de frêles mais fiers américains isolés dans la jungle hostile. Ces porteurs, soi-disant engagés comme porteurs dans quelques villages des côtes d’Afrique noire, sont toujours des comédiens hollywoodiens afro-américains qui tiennent des bagages au-dessus de leur tête, en rechignant souvent à marcher pieds-nus (ce qui donne souvent ce côté légèrement absurde aux films de jungle, lorsqu’on les voit parfois marcher sur la pointe des pieds pour éviter de ses blesser, et jouer les sauvages effarouchés). Et lorsqu’ils ne fredonnent pas, en longue file indienne des airs de Gospel (plutôt généralement chantés du côté du continent américain), on les entend cacher, tant bien que mal, leurs accents du Bronx, lorsqu’ils s’adressent aux chefs d’expédition. Sur ce même principe, on retrouvait aussi dans les 30′s, très souvent dans les rôles des méchants chinois ou de l’empire de Siam (ex-Thaïlande), ou même pour les terribles Tongs d’Asie ou de Chinatown, des comédiens naturalisés et citoyens américains, ou carrément des Eurasiens, issus des métissages de familles bien américaines, lorsque ce n’était pas des acteurs de type européen grimés et maquillés. Un décalage identitaire, à la limite du racisme hollywoodien, mais qui se laisse mieux apprécier avec les années, à mon goût, les années floutant mieux les réalités…
Pour revenir à ces films de jungle des années 30 et 40, plus généralement appelés aujourd’hui « films coloniaux », bien que désuets et bourrés d’anomalies, ils n’en restent pas moins une Fantasmagorie de l’époque de nos grands-parents, et que je regarde encore parfois avec le sourire, et un peu de rêvasserie, pour leurs univers souvent décalés et parfois irréels. Je propose surtout THE SAVAGE GIRL à Morbius, dans la catégorie du Grenier du ciné Fantastique, comme un exemple d’un univers, à la limite du Fantastique, et complètement fabriqué par Hollywood, dont je ne dresserai aucune liste, mais dont les curieux pourront toujours retrouver en V.O., un grand nombre de ces films de jungle, en versions complètes, sur Youtube.
- Trapard -
Autres films présentés dans la catégorie Le Grenier du Ciné Fantastique :
La Charrette Fantôme / La Chute de la Maison Usher / Les Contes de la Lune vague après la Pluie / Frankenstein (1910) / Le Cabinet du Docteur Caligari / La Monstrueuse Parade / Le Fantôme de l’Opéra / Double Assassinat dans la Rue Morgue / Docteur X / White Zombie / The Devil Bat / La Féline (1942) / Les Visiteurs du Soir / La Main du Diable / Le Récupérateur de Cadavres / La Beauté du Diable / Un Hurlement dans la Nuit / The Mad Monster / La Tour de Nesle / L’Étudiant de Prague / Les Aventures Fantastiques du Baron de Münchhausen / Torticola contre Frankensberg / Ulysse / Man with Two Lives / The Mad Ghoul / La Tentation de Barbizon / The Flying Serpent / Peter Ibbetson / Le Fantôme Vivant / La Marque du Vampire / Les Poupées du Diable / Le Gorille / Le Voleur de Bagdad
Je vais juste ajouter deux liens sur l’exposition au quai Branly en 2009, « Tarzan ! » de l’ethnologue Roger Boulay (c’est aussi lui qui a écrit « cannibales et vahinés »)
http://www.le-perche.fr/23167/apres-le-quai-branly-roger-boulay-raconte-tarzan/
et ici avec une interview en vidéo :
http://www.quaibranly.fr/fr/programmation/expositions/expositions-passees/tarzan.html