« GARUDA POWER » – INTERVIEW DE BASTIAN MEIRESONNE

Posté le 30 avril 2014

On délaisse un temps le Fantastique et la SF pour cette interview de Bastian Meiresonne, réalisateur du documentaire consacré au cinéma d’action indonésien : GARUDA POWER. Une interview réalisée par Trapard que l’on remercie au passage !

Bonjour Bastian. Tu es en train de préparer un documentaire intitulé GARUDA POWER portant sur le cinéma d’action indonésien. Une industrie conséquente mais assez peu connue finalement, que la proximité avec l’Asie et que la communauté indonésienne qui constitue la Nouvelle-Calédonie nous aide parfois à découvrir par le biais de DVD ramenés localement dans des bagages. Mais un cinéma qui s’exporte peu en conclusion. Peux-tu nous parler un peu de toi, de ton parcours et de ce qui t’a amené à entreprendre ce projet si peu commun et pourtant très intéressant ?

Bonjour ! Je suis né le 31 décembre 1975 à Düsseldorf en Allemagne de parents flamands avant d’arriver à l’âge de douze ans en France. À 21 ans, j’ai tout plaqué pour partir vivre un an en Australie – quoi de plus logique de de m’intéresser au cinéma asiatique pour boucler la boucle de mon petit tour du monde personnel (rires).

Quand j’étais gamin, mon père était souvent parti un peu partout dans le monde pour ses activités et il ramenait toujours tout un tas de trucs. Un jour il est revenu avec un lecteur BETA, tu sais, l’ancêtre ou plutôt le concurrent de la VHS, et des BETAMAX plein les bras en revenant du Japon. On a galéré pour trouver une télé capable de les passer.

Du coup, en l’absence de mon père, je regardais tous ces vieux classiques en noir et blanc avec ma mère : des Kurosawa, Ozu et Kinoshita Keisuke. Ma mère me racontait ce qui se passait et se disait à l’écran. J’adorais ces moments.

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Quelques années plus tard, je revois l’un de ces Kurosawa et me rends compte que l’histoire n’avait absolument rien à voir avec celle que j’avais en tête et que ma mère m’avait racontée. Je suis allé la voir et elle me répond : « Mais comment voudrais-tu que je parle et comprenne le japonais ? » Je ne m’étais jamais posé la question – je m’en suis voulu et j’ai adoré l’anecdote en même temps – le fait d’idolâtrer à ce point ses parents et ne jamais remettre en cause leurs éventuelles compétences… mais du coup, j’ai toujours gardé une profonde affection pour le cinéma japonais classique.

Plus tard, j’ai découvert le cinéma hongkongais : des mecs qui volaient, des sabres à la main, qui mettaient des balles dans la tête à bout pourtant sans que le plan ne soit coupé… Le seul moyen de se les procurer était d’acheter des VHS dans certains quartiers de Paris ou… Londres. J’économisais pour passer la Manche avec le ferry, aller en bus jusqu’à Londres m’acheter des VHS jusqu’à 50-100 € la cassette, parfois. Je peux te dire que je les ai usées, les bandes, pour les rentabiliser ! Je ramenais plein de cassettes aussi de mes voyages en Asie, puis est arrivé l’époque bénie des VCD, que je commandais par dizaines et que je galérais à récupérer à la douane sans payer trop de taxes…

Est arrivé le cinéma thaï, le cinéma coréen…

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Comme études, j’ai fait un bac B avant d’aller m’emmerder dans une école de cinéma privée parisienne, l’ESRA – spécialisation réalisation. J’y ai perdu pas mal de temps, mais j’ai eu quelques bons profs, dont un, Jean-François Tarnowski, qui m’a profondément marqué. Il m’a donné le goût de l’analyse et le sens de la représentation – je lui rends hommage à chaque présentation de films que je fais – il s’est suicidé il y a quelques années.

Puis j’ai commencé à écrire pour des sites Internet, et après mes études je me suis barré en Australie, puis à mon retour, j’ai enchaîné des boulots gratos sur des tournages de courts, longs et émissions télé avant de partir en Allemagne pour un boulot alimentaire, que j’ai continué encore quelques années à mon retour en France.

En revanche, je me suis imposé une discipline de fer : debout à 06h00, visionnage d’un film, au boulot pour 8h, retour le soir à 20h, rédaction d’une critique jusqu’à 21h / 22h – c’était le seul moyen pour que je tienne le coup dans mon boulot alimentaire.

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Puis, en 2005 ou 2006, j’ai été licencié économique, j’ai eu un peu d’argent et j’ai décidé de faire de ma passion mon métier. C’était l’époque bénie du cinéma asiatique en France, il y avait au moins trois magazines, MAD ASIA, KUMITE et ASIA PULP, j’ai écrit pour les deux derniers.

Mes articles m’ont amené dans le circuit festivalier, où j’ai rencontré du monde qui cherchait des consultants en cinéma asiatique. Et de fil en aiguille j’en suis arrivé à ce que je fais encore aujourd’hui : un peu de presse (Coyote Mag, Écran Fantastique, des piges…), des collaborations à des bouquins (j’ai collaboré à une douzaine d’ouvrages en moins de dix ans et j’ai sorti un ouvrage sous mon propre nom : « Imamura Shohei – Évaporation d’une réalité »), consultant dans l’acquisition de titres asiatiques pour la distribution française, programmateur, traducteur, intervenant, maître-conférencier et présentateur dans divers festivals (Black Movie à Genève, Festival International des Cinémas d’Asie à Vesoul, le NIFFF…) et maintenant… ben… réalisateur.

Je suis à peu près toutes les cinématographies de l’Asie du Sud-est et suis à peu près calé sur les principales, HK, le Japon, la Corée… Je me suis pas mal spécialisé dans le cinéma thaïlandais pendant plusieurs années, jusqu’à avoir un vrai coup de cœur pour le cinéma indonésien en 2006.

14043006523615263612191428Je suis allé voir un film au Marché du Film de Cannes, un peu par hasard, un peu par curiosité, comme je n’avais encore jamais vraiment vu de film indonésien… LOVE FOR SHARE. On était trois dans la salle, quand tout d’un coup a déambulé la jeune réalisatrice Nia Dinata avec deux de ses actrices principales, qui étaient follement contentes d’être là et nous ont fait un show, comme elles venaient de remonter le tapis rouge ! (rires). Le film a été une claque incroyable : trois segments traitant de la polygamie dans le premier pays musulman au monde, réalisés par une femme ! Je me suis demandé comment cela pouvait bien être possible – et m’en suis voulu de mes propres préjugés et représentations. En faisant des recherches, je me suis rendu compte qu’il y avait une cinématographie extrêmement importante avec plus de 4000 films réalisés depuis les années 1920 et 2000), que le pays est dans le Top 15 des principaux pays producteurs cinématographiques au monde avec plus de 80 films produits chaque année, mais qu’l n’existait quasi aucune information sur ce cinéma. J’ai donc fait pas mal de déplacements là-bas, jusqu’à arriver aujourd’hui à avoir plus de 1800 films sur les 2500 encore existants, avoir eu la chance d’organiser deux rétrospectives d’une dizaine de films en 2011 à Genève et de 22 films – la plus grande rétrospective dédié à ce pays réalisé au monde en 2013 à Vesoul.

Au cours de mes recherches de programmations des films plutôt « art et essai », je n’arrêtais pas d’en apprendre également sur le cinéma « d’exploitation » et plus particulièrement très présent – et ce dès les années 1930 jusqu’à l’apogée du genre dans les années 1970 et 1980 avec des dizaines de films d’action produits chaque année. Certains de ces titres sont encore aujourd’hui considérés comme des « classiques » du Cinéma Indonésien – je pense notamment à JAKA SEMBUNG. Je me suis donc mis à en regarder de plus en plus, et j’ai découvert des véritables pépites… Peut-être pas du niveau technique du cinéma japonais ou hongkongais de la même époque, mais avec une vraie identité et – surtout – réalisé avec beaucoup de passion… Il y a des films totalement délirants, adaptés de célèbres bandes dessinées, avec des guerriers aux super pouvoirs, qui voltigent dans les airs et savent manier la magie noire. C’est de là qu’est né mon envie d’en tourner un documentaire dédié au genre du cinéma d’action depuis les années 1930 jusqu’au récent succès mondial des THE RAID 1 & 2…

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Le Garuda, c’est une créature issue du bouddhisme en Asie, mais aussi un emblème politique indonésien. Pourquoi ce titre exactement de GARUDA POWER ?

Le cinéma indonésien est quasi méconnu dans une grande partie du monde, il me fallait donc trouver un titre accrocheur, à la fois exotique et explicite.

Je me suis rapidement décidé pour le mot « GARUDA », car même s’il n’est pas très connu, il titille instamment la curiosité, même pour ceux qui ne mettraient aucune image sur ce terme.

Ensuite j’aime beaucoup sa dimension mythologique, un oiseau fabuleux, un aigle géant mythique, présent dans bon nombre de mythologies asiatiques, indienne, thaïlandaise, tibétaine, etc… J’aimais cet unique terme réunissant plusieurs pays, partageant une mythologie commune et dont les légendes des uns nourrissaient ceux des autres – tout comme le cinéma d’action indonésien a su évoluer en fonction des influences d’autres pays (Hong Kong, Inde, Japon, États-Unis…) tout en développant une identité propre.

Et puis le GARUDA a une symbolique encore plus particulière en Indonésie, en étant l’emblème même du pays et ayant donné son nom à la première compagnie aérienne du pays – et d’autres sociétés assez influentes.

Un terme assez « fort », renforcé par le « POWER », qui parle directement aux publics du monde entier.

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Où en es-tu exactement. As-tu planifié un calendrier de tournage et pour la post-production du film pour nous allécher sur une potentielle date de sortie du film ?

(rires). En fait, le sujet est déjà tourné, j’ai passé deux fois un mois en Indonésie l’année dernière pour terminer le film. La première session m’a permis d’interviewer une trentaine de personnalités, parmi lesquels des spécialistes du cinéma indonésien, des historiens, des intellectuels et – bien sûr – des professionnels issus du monde du cinéma, parmi lesquels les réalisateurs Imam Tantowi (JAKA SEMBUNG), Ackyl Anwari ou des acteurs comme George Rudy, Johny Indo ou le mythique Barry Prima, dont c’était uniquement la seconde interview accordée à une équipe étrangère en près de 40 ans de carrière.

La seconde session s’est davantage focalisée à tourner des scènes de fiction qui serviront de début et de fin à la version ciné du film, ainsi que de filmer certains lieux mythiques, anciens cinémas abandonnés, la Cinémathèque, des anciens studios (PFN) ou encore assister au tournage d’un épisode d’un soap d’action diffusé chaque soir à la télévision indonésienne. C’est même assez fou : cette série est tournée sur des plateaux de tournage installés dans des terrains vagues à l’extérieur de Jakarta. Le tournage ne s’arrête jamais, il y a deux équipes qui tournent 24h / 24 par tranches de 16 heures chacune pour produire au moins un épisode par jour, qui est diffusé à la télévision… le soir même ou le lendemain, sachant que la série comporte pas mal d’effets spéciaux rajoutés en post-production ! Incroyable. Ce genre de séries a servi de « refuge » aux nombreux techniciens et acteurs des films d’action des années 1970 et 1980 lors de la grande crise cinématographique indonésienne, lorsque la production de films est passé de 125 films tournés par an à une poignée de films – notamment à cause de la concurrence de la télévision.

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Le documentaire va donc aborder le cinéma d’action des années 1930 à nos jours, en traitant notamment de l’influence des komiks (bandes dessinées indonésiennes) à la fin des années 1960 / début des années 1970, en passant par l’apport du cinéma hongkongais dans le cinéma d’action indonésien des années 1970 (avec des nombreux faux Bruce Lee), en passant par la concurrence de la télévision des années 1990, etc.

J’espère terminer une version de 90 minutes pour cet été pour ensuite le proposer à un circuit festivalier vers la fin d’année. Parallèlement à cela, je pense également à une version de 52 minutes, que je proposerai aux chaînes de télévision et je monte une version de 26 minutes, différente, qui servira de bonus aux futures éditions DVD de THE RAID 2… Mes nuits sont donc courtes en ce moment (rires).

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J’espère que la Nouvelle-Calédonie ne sera pas oubliée lors de la diffusion de GARUDA POWER, et pourquoi ne pas venir nous en parler lors d’une projection locale ?

J’ADORERAIS ! (rires). Il y a TANT à raconter et j’adore communiquer ma passion, mes quelques savoir que j’aurai pu glaner, raconter des histoires et anecdotes qui m’ont moi-même fascinés, montrer des bouts d’images… J’ai eu la chance de pouvoir collecter plus de 600 images tout au long de ces dernières années, de retrouver des copies dites « disparues » et récupérer des bouts de films des années 1930 et 1940 inédits depuis des décennies. Et je puis vous garantir que les films des années 1930 et 1940 valent largement ce qui se fait aujourd’hui, avec notamment des copies de TARZAN et ZORRO absolument irrésistibles. Oui, j’espère sincèrement avoir la chance de pouvoir le projeter en Nouvelle-Calédonie un jour !

Vraiment, au nom des Échos d’Altaïr : merci Bastian pour ta gentillesse, ta disponibilité et ton enthousiasme communicatif. 

- Trapard -

Un commentaire pour « « GARUDA POWER » – INTERVIEW DE BASTIAN MEIRESONNE »

  1.  
    trapard
    1 mai, 2014 | 21:18
     

    À Nouméa, on a nos petites histoires locales et la gérante d’un snack dont je ne donnerai pas le nom sur internet, est connue pour avoir été comédienne de petites productions en Indonésie il y a de ça quelques années.
    C’est d’ailleurs grâce à elle que j’ai découvert certains films indonésiens mais en v.o. et non sous-titrés.

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