The City & the City, une métaphore particulièrement réussie de notre société occidentale, par China Miéville.
- par Sonia Faessel -
L’auteur est anglais, a obtenu de nombreux prix, et il est le digne descendant d’Orwell, de Kafka, pour l’absurde et le pouvoir occulte inaccessible, de la série Noire américaine pour le personnage de détective, caractérisé par sa ténacité à découvrir la vérité dans un monde qui lui échappe.
La non communication est la principale caractéristique de nos sociétés depuis l’arrivée massive des smartphones et des tablettes, il suffit de regarder les gens dans un aéroport, une gare, un bus : ils sont à moins d’un mètre les uns des autres, ne se regardent pas, n’échangent pas un mot, le nez sur leurs appareils. Dans ce cas, poursuivons la logique : deux villes, intimement mélangées, mais totalement séparées. La loi comportementale exige qu’un habitant de Beszel « évise » son voisin d’Ul Qoma et inversement, faute de quoi, il commet le crime de « rupture » et disparaît purement et simplement, happé par cette institution redoutable qui voit tout, contrôle tout, et apparaît immédiatement lorsque le délit est commis. Il faut aussi ne pas sentir (« insentir »), ne pas écouter (inouir) lorsque votre espace de vie est « brutopiquement » situé, entendez par là, lorsque votre voisin d’à côté ou d’en face n’est pas de votre ville. Aucune place pour le sentiment, ce qui compte, c’est la norme, être conforme à ce qui est attendu, et, là encore, comment ne pas reconnaître la toute puissance du conformisme qui règle actuellement nos sociétés ?
Alors qu’Orwell invente Big Brother, Miéville invente la Rupture, une institution secrète, qui n’a de contrôle que sur elle-même, et intervient avec une efficacité effrayante, maintenant les deux populations dans un état d’angoisse permanent. On pense aussi à la Stasi, la police des ex-pays de l’Est, d’autant que le cadre temporel du roman suggère un XXIe siècle proche des idéologies communistes et libérales. Aucune explication n’est donnée quant à la partition des deux villes, l’une moins évoluée que l’autre, résolument tournée vers la modernité, architecturale tout au moins, car, pour ce qui est des technologies actuelles, elles ne semblent pas intéresser l’auteur, qui équipe ses villes de vieux ordinateurs, et d’un « google » hésitant quant au débit. La manipulation, autre caractéristique du monde actuel, est donc reine, et les habitants ont accès aux informations qu’on veut bien laisser filtrer.
Une légende urbaine veut qu’il existe une troisième ville, Orciny, qui vit à l’interstice des deux autres, c’est le sujet sur lequel travaille la jeune américaine assassinée au début du livre, découverte par Tyador Borlu, inspecteur de la Criminelle de Beszel. Son enquête va le mener d’une ville à l’autre, avec toutes les tracasseries que cela implique, et l’opacité finira par se déchirer pour ne révéler qu’un banal trafic d’objets d’art concernant la période pré-clivage des deux villes. C’est parce qu’il éprouve quelque chose, ne serait-ce qu’un sentiment d’injustice, de la compassion pour les victimes, qu’il finit effacé dans la Rupture, recruté de force dans un monde entre les deux villes. Le prix à payer : il devient invisible pour tout le monde, car aucun habitant des deux villes n’a le droit de le voir, encore moins de lui parler, sous peine de rupture.
C’est donc une lente dissolution de l’individu que China Miéville met en scène, de manière magistrale, dans un roman au goût d’étrangeté, mais singulièrement proche de nous, pour peu que l’on se donne la peine de voir les analogies avec notre époque.
Un grand livre, à lire absolument.
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Super présentation. Je vais sauter dessus dès que possible.