« Les contes d’autrefois, ainsi que les fabuleuses créatures qui les inspirèrent, ont une patrie. Cette patrie se nomme l’OutreMonde. Ne la cherchez pas sur une carte, même millénaire. L’Outre-Monde n’est ni un pays, ni une île, ni un continent. L’OutreMonde est… un monde, ma foi. Là vivent les fées et les licornes, les ogres et les dragons. Là prospèrent des cités et des royaumes que nous croyons légendaires. Et tout cela, au fil d’un temps qui s’écoule autrement. »
(Le Paris des Merveilles – tome 1 : Les Enchantements d’Ambremer / Pierre Pevel)
JACK VANCE
(texte incomplet de Mandragore datant du début des années 1990)
Sa vie
John Holbrook Vance est un homme secret, fort avare de confidences. Il l’annonce d’emblée : « Je crois qu’une connaissance intime de la personnalité d’un écrivain diminue l’effet de ses œuvres sur le lecteur. C’est pourquoi je ne distribue jamais de photographies, n’accorde aucune interview et ne fournit qu’un minimum de renseignements biographiques à qui m’en demande. »
Il a donc fallu se livrer à un véritable travail de détective, opérer nombre de recoupements noyés ici et là dans la masse des décryptages successifs de la critique pour parvenir à vous présenter quelques bribes de l’existence de ce vaste penseur de mondes.
Né à San Francisco le 28 août 1916, il passe toute son enfance dans un ranch de la Californie centrale. Il suit successivement – mais sans succès ! – des cours d’ingénieur des mines, de lettres, de physique et de journalisme, métier qu’il délaisse vite pour exercer les activités les plus diverses.
Il travaille dans la métallurgie, la construction, puis devient musicien au sein d’une formation de jazz (c’est un trompettiste et un bon joueur de banjo). On le retrouve finalement dans la marine marchande. Il prétend avoir ainsi bourlingué sur toutes les mers du monde. Dès lors, son amour de la bougeotte ne l’a plus quitté. Il préparait ces dernières années un grand périple dans le Pacifique Sud à bord d’un trimaran qu’il achevait de construire.
Ajoutons que c’est un gastronome et un œnologue averti, qu’il est marié et père d’un garçon, qu’il réside à Oakland, port ouvrant sur la baie de San Francisco.
Si quelque jour, vous repérez, sur la terrasse d’un hôtel-restaurant, un Américain jovial au visage de pachyderme, jouant, le soir venu, d’un ukulélé aigrelet, sachez que vous avez devant vous un « world-thinker », un conteur à l’égal de Dumas ou de Stevenson.
Son œuvre
Vance publie à 29 ans sa première nouvelle dans « Thrilling Wonder Stories ». Il a obtenu les plus hautes distinctions : le Hugo en 1963, pour sa nouvelle « Les Maîtres des Dragons » et le Nebula, pour « Le Dernier Château », quatre ans plus tard. C’est un des rares écrivains de SF, avec Harlan Hellison, qui puisse disposer aussi sur ses étagères l’ « award » de la littérature policière. Ce palmarès est déjà très significatif de la « manière » de Vance qui consiste à mêler Space Opera (pour le cadre), Heroic Fantasy (pour la tonalité) et intrigue policière (pour la trame narrative). Le tout enrobé d’un certain humour tenant, pour l’essentiel, à la distance un peu narquoise que semble se ménager l’auteur à l’égard de ses personnages, de ses inventions, des vicissitudes de la vie de voyageur cosmique.
Dans l’univers « vancien », chaque société humaine essaimée dans la galaxie devient une sorte de système clos qui a tendance à perdre la mémoire de ses origines et à évoluer selon une dynamique propre : oubli de la Terre, mais aussi oubli de l’humain, mutations régressives ou progressives, castes aux rites figés, complexes jusqu’à l’horreur, mondes féodaux servis par des robots où les yachts spatiaux voisinent avec les chars à bœufs, planètes où la science s’est sophistiquée au point de se confondre avec la magie, sociétés raffinées cérémonieuses ou épiques, consacrées aux plaisirs des sens ou à la guerre.
Nous voici embarqués dans un diorama immense, vaste fresque baroque où chaque détail a son importance : costumes, mets, architectures, légendes locales, spectacles, peintures, modes de gouvernement, systèmes carcéraux ou policiers, langues, …
Ce pointillisme savamment dosé fait tout le charme de ces voyages, où la démarche encyclopédique rejoint la satire, la réflexion sur la structure sociale, la nature du pouvoir, la liberté individuelle ou collective, l’impérialisme. Car le décor, aussi somptueux soit-il, n’est pas gratuit. Il ne procède aucunement du simple délire créatif. Il soutient, nourrit, justifie l’intrigue. Comme Montesquieu, Vance est fermement persuadé que les lois d’un peuple donné « doivent être relatives au physique du pays, au climat glacé, brûlant ou tempéré ; à la qualité du terrain, à sa situation, à la religion des habitants, à leurs inclinations, à leurs richesses, à leur nombre, à leur commerce, à leurs mœurs, … »
Technique flamboyante d’autant plus adaptée qu’elle s’étale presque toujours sur plusieurs tomes : quatre pour le « Cycle de Tschaï » (où un cosmonaute essaie de trouver un astronef pour regagner la Terre, et apprend à connaître, à travers ses pérégrinations, les quatre races mutantes qui se partagent la planète) ; cinq pour la « Geste des Princes-Démons » (où Kirth Gersen, le héros, se venge du meurtre de ses parents et de la destruction du domaine familial) ; trois au moins pour « Lyonesse » (inextricable imbroglio de complots dominés par la sorcellerie dans l’archipel des Isles Anciennes).
Mais il excelle aussi dans la « novella » : « Emphyrio » (où le petit Ghyl, après une représentation de marionnettes semi-humaines, se révoltera contre les Seigneurs, uniques détenteurs du savoir mécanique) ; « Un Monde d’Azur » (un monde d’îles flottantes peuplé par les descendants d’un croiseur-pénitencier et dominé par un monstre marin : le Kragen) ; « Les Maîtres des Dragons » (belle aventure d’une lutte entre extraterrestres et société féodale, où chacun des adversaires envoie au combat des versions mutantes de son ennemi).
- Mandragore -