« Je suis heureux qu’elle soit grande et vieille. J’appartiens moi-même à une vieille famille, et cela me tuerait de vivre dans une maison neuve. On ne peut rendre en un jour une maison habitable et, après tout, il ne faut pas tant de jours que cela pour faire un siècle. Je me réjouis qu’il y ait une chapelle datant des temps anciens. Il nous est désagréable à nous autres, nobles de Transylvanie, de penser que nos ossements pourraient se mélanger à ceux du vulgaire. Je ne recherche pas la gaieté, ni les réjouissances, pas plus que je ne recherche la volupté étincelante d’un soleil généreux et de l’eau chatoyante, qui plaisent aux jeunes gens et à ceux qui s’amusent. Je ne suis plus jeune. Et mon cœur, en raison des années péniblement passées à pleurer les morts, n’est pas d’humeur à se réjouir. De plus, les murailles de mon château sont délabrées ; il s’y trouve beaucoup d’ombres, et le vent fait sentir son souffle froid au travers des créneaux et des châssis de fenêtre brisés. J’aime l’ombre et l’obscurité, et je souhaite, lorsque cela est possible, être seul avec mes pensées. »
(Dracula / Bram Stoker)
« C’est une belle chose, la destruction des mots. Naturellement, c’est dans les verbes et les adjectifs qu’il y a le plus de déchets, mais il y a des centaines de noms dont on peut aussi se débarrasser. Pas seulement les synonymes, il y a aussi les antonymes. Après tout, quelle raison d’exister y a-t-il pour un mot que le contraire d’un autre ? Les mots portent en eux-mêmes leur contraire. Prenez « bon », par exemple. Si vous avez un mot comme « bon » quelle nécessité y a-t-il à avoir un mot comme « mauvais » ? « Inbon » fera tout aussi bien, mieux même, parce qu’il est l’opposé exact de bon, ce que n’est pas l’autre mot. Et si l’on désire un mot plus fort que « bon », quel sens y a-t-il à avoir toute une chaîne de mots vagues et inutiles comme « excellent », « splendide » et tout le reste ? « Plusbon » englobe le sens de tous ces mots, et, si l’on veut un mot encore plus fort, il y a « doubleplusbon ». »
(1984 / George Orwell)
« Les contes d’autrefois, ainsi que les fabuleuses créatures qui les inspirèrent, ont une patrie. Cette patrie se nomme l’OutreMonde. Ne la cherchez pas sur une carte, même millénaire. L’Outre-Monde n’est ni un pays, ni une île, ni un continent. L’OutreMonde est… un monde, ma foi. Là vivent les fées et les licornes, les ogres et les dragons. Là prospèrent des cités et des royaumes que nous croyons légendaires. Et tout cela, au fil d’un temps qui s’écoule autrement. »
(Le Paris des Merveilles – tome 1 : Les Enchantements d’Ambremer / Pierre Pevel)
« C’est parti. Puisqu’il me faut encore jouer, je jouerai serré. Tout est prêt, bien agencé. Un plan soigneusement élaboré qui devrait se dérouler sans anicroche. En face, ils n’y verront que du feu. Et lorsqu’ils se rendront compte de quelque chose, lorsqu’ils s’apercevront qu’un grain de sable s’est glissé dans leur machine bien huilée, il sera trop tard. Vraiment trop tard. Ils se trouveront pris dans leur propre piège et ne pourront plus y échapper. M’échapper. Qu’est-ce qu’ils s’imaginaient ? Que j’allais disparaître sans rien dire ? Que je serais sans réaction aucune ? Les imbéciles ! Et ils croyaient me connaître ! Non, je n’ai pas disparu. Je suis là, bien caché, bien blotti, en un endroit où nul ne saurait me trouver. »
(Le Serpent d’Éternité / Pierre Stolze / Galaxie Bis 1979)
« Il eut une brève pensée pour lui-même : quarante-deux ans, plutôt frêle, des lunettes à monture d’écaille. Il devait sans doute avoir bien l’air d’un prof. Il se sentait singulièrement déplacé à bord d’une fusée. Il examina l’écran. Il vit des étoiles froides et un soleil glacé. Il vit des lointains noirs emplis de longs silences. Il vit sa propre vie, éloignée, perdue : une vie qui avait été trop solitaire, qui avait passé trop vite. »
(L’Objet (Artifact) dans Histoires de Planètes / Chad Oliver / 1961)
« L’idiot habitait un univers noir et gris que ponctuaient l’éclair blanc de la faim et le coup de fouet de la peur. Ses vieux habits en lambeaux laissaient voir ses tibias en lame de burin et, sous sa veste déchirée, ses côtes qui saillaient comme des doigts. L’idiot était de haute taille, mais plat comme une limande ; dans son visage mort, ses yeux étaient calmes. »
(Les Plus qu’Humains / Theodore Sturgeon)
« C’était son obsession, ce qui motivait toute son existence. La cruauté et la tyrannie envers ceux qui ne pouvaient se défendre embrasait son âme d’une colère noire, aussi féroce que tenace. Lorsque la flamme de sa fureur avait été attisée et qu’elle touchait à son paroxysme, il n’avait de cesse que sa vengeance soit consumée. Quand il lui arrivait de s’interroger sur sa conduite, il se disait qu’il accomplissait le jugement de Dieu, qu’il était un instrument du courroux divin, châtiant les êtres impurs. »
(Solomon Kane / Robert E. Howard)
« J’eus tout d’abord l’impression de quelque gauche quadrupède qui aurait la tête baissée. Puis je m’aperçus que c’était le corps frêle et étroit, les jambes bancales, courtes et extrêmement déliées d’un Sélénite, avec sa tête affaissée entre les épaules. Il n’avait pas l’espèce de casque et de vêtement qui couvraient ceux du dehors. Il était pour nous une forme noire et morne, mais instinctivement notre imagination dotait d’une physionomie ces formes très humaines ; et pour moi, du moins, je conclus immédiatement qu’il était un peu bossu avec un front élevé et de longs traits. »
(Les Premiers Hommes dans la Lune / H.G. Wells)
« La Galaxie comportait alors près de vingt-cinq millions de mondes habités. Et pas une seule de ces planètes n’échappait à l’autorité de l’Empire dont le siège se trouvait alors sur Trantor. Un demi-siècle plus tard, les choses auraient déjà bien changé. »
(Fondation / Isaac Asimov)
« Le temps est simplement notre perception imparfaite d’une nouvelle dimension de l’espace. Le temps et le mouvement sont deux illusions. Tout ce qui a existé depuis le commencement du monde existe encore aujourd’hui. Des événements qui se sont déroulés il y a des siècles sur cette planète continuent d’exister dans une autre dimension de l’espace. Des événements qui se produiront dans plusieurs siècles existent déjà aujourd’hui. Nous ne pouvons percevoir leur existence parce que nous sommes incapables de pénétrer la dimension de l’espace qui les contient. Les êtres humains tels que nous les connaissons ne sont que des fractions, des fractions infiniment petites d’un tout immense. Tout être humain est relié à toute vie qui l’a précédé sur terre. Tous ses ancêtres font partie de lui. Seul le temps le sépare de ses ascendants, et le temps est une illusion qui n’existe pas. »
(Les Chiens de Tindalos / 1929 / Frank Belknap Long Jr. / Les Meilleurs Récits de Weird Tales)