SCIENCE-FICTION TÉLÉVISÉE POLONAISE DES ANNÉES 60
Voici un petit dossier sans prétention dédié à la SF d’Europe de l’Est et plus précisément à la SF télévisée polonaise, et présentant à nos lecteurs des adaptations TV de l’œuvre de deux grands romanciers de la science-fiction polonaise : Czeslaw Chruszczewski et Stanisłas Lem.
OÙ ES-TU LOUISE ? (1964) de Janusz Kubik
Pour commencer tranquillement cet article, ce téléfilm polonais de 1964 est tiré de la nouvelle « Fotel na autostradzie » du romancier de science-fiction polonais Czeslaw Chruszczewski (1922-1982). Je vous laisse répéter son nom à haute voix et à plusieurs reprises pour vous entraîner à le prononcer. Czeslaw Chruszczewski (donc toujours lui!) a fait ses débuts d’écrivain en Pologne dans les années 60, en gagnant en popularité dans les années 70 en publiant plusieurs romans, deux anthologies d’histoires courtes de SF, mais aussi des scénarios pour des émissions de radio et de télévision, comme c’est le cas avec OÙ ES-TU LOUISE ? (1964, Gdzie jestes, Luizo ?) pour lequel il a adapté sa propre nouvelle. Certaines des œuvres de Czeslaw Chruszczewski ont été traduites dans plusieurs langues, dont le russe, le tchèque, le hongrois, l’allemand et l’espagnol, mais pas en français. Mais il n’est sûrement pas un inconnu pour les fans de SF old-school puisqu’il a reçu de nombreux prix au Congrès européen de SF à Trieste pour l’ensemble de ses écrits dans la science-fiction (1972), à la Réunion internationale des écrivains de SF à Poznan (1973), et lors du Congrès de SF Eurocontrol II à Grenoble (1974) et Eurocontrol III à Poznan (1976), et il a été vice-président du Comité européen de SF.
Pour en revenir à OÙ ES-TU LOUISE ?, voici son intrigue : Une entité extraterrestre se pose sur terre et, cachée dans un cirque, elle choisit quatre personnes représentant l’ensemble de l’humanité. Par l’intermédiaire de son émissaire sur terre, Louise, elles deviennent les spécimens de leurs recherches sur les sources primitives de l’espèce humaine…
OÙ ES-TU LOUISE est un téléfilm très étrange et très typé d’une certaine modernité psychédélique naissante surtout à l’Ouest, comme en Angleterre par exemple. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, la télévision polonaise des années 60 n’était pas dépourvue de petites productions de SF de qualité, souvent courtes, comme le prouvent cette série de téléfilms. OÙ ES-TU LOUISE ? (1964) est surtout une occasion pour son réalisateur, Janusz Kubik, de s’essayer à une longue série d’effets visuels possibles avec les outils audiovisuels de l’époque, cette surenchère accentuant l’irréalité du sujet comme il se doit.
Stanisław Lem (ou Stanislas Lem en francisant son nom) n’est pas tout à fait un inconnu pour les lecteurs des Échos d’Altaïr car – rappelez-vous – Morbius parlait déjà indirectement de lui dans les Robots-Craignos à propos d’une adaptation de l’un de ses romans inédits en France, « Obłok Magellana » et à propos du film tchécoslovaque de Jindrich Polák, IKARIE XB-1 (1963) et de son robot rigolo.
Wikipédia présente ainsi le romancier polonais : « Stanislas Lem écrit sur l’incommunicabilité entre les humains et les civilisations extra-terrestres et sur le futur technologique de l‘humanité. Il développe des idées sur une société idéale et utopique et explore les problèmes liés à l’existence de l’homme dans des mondes où le progrès technologique supprime tout effort humain. Ses sociétés extra-terrestres mettent en scène des essaims de mouches mécaniques (« L’Invincible ») ou l‘océan pensant (« Solaris ») avec lesquels les Terriens ne peuvent pas communiquer. Des utopies technologiques apparaissent dans Pokoj na Ziemi (Paix sur la Terre) ou dans « La Cybériade ».
Lem est un partisan de la civilisation occidentale. Malgré la censure inhérente au régime staliniste dans lequel il vécut, son œuvre contient une sévère critique du collectivisme. ».
Voici donc deux courts-métrages de la télévision polonaise et réalisés par le duo Marek Nowicki & Jerzy Stawicki, un autre réalisé par le cinéaste Andrzej Wajda, et enfin, un long-métrage fleuve télévisé de space-opéra russe, tous issus de l’imagination de Stanisław Lem.
AMI (1965) de Marek Nowicki & Jerzy Stawicki
Pour commencer, AMI (1965, Przyjaciel) est un téléfilm de 18 minutes tiré de la nouvelle « L’Ami » qui est issue du recueil « Le Bréviaire des Robots » de Stanislas Lem. Une nouvelle dans laquelle un jeune électronicien relate sa rencontre avec un homme étrange, à la recherche de matériel pour un prétendu ami. L’électronicien en question, c’est l’ingénieur Ijon Tichy, personnage central d’une série d’ouvrage tragicomiques de Stanislas Lem dont la plupart des œuvres sont traduites et publiées en France. La plupart des histoires dont l’ingénieur Ijon Tichy est le protagoniste principal sont des historiettes de SF modernes dont la robotique est une des préoccupations centrale , ce qui ne sera pas pour déplaire à Morbius. Et c’est aussi le cas dans AMI (1965, Przyjaciel), un téléfilm à l’ambiance très étrange, voire énigmatique, dont une immense machinerie permet l’alimentation énergétique d’un genre de cyborg à l’apparence humaine.
Pour l’anecdote : le désormais célèbre cinéaste de la Nouvelle-Vague polonaise, Jerzy Skolimowski écrivit le scénario et les dialogues de ce téléfilm et de quelques autres œuvres comme LE COUTEAU DANS L’EAU (1962, Nóż w wodzie), le tout premier long-métrage de Roman Polanski. Ceci alors que Skolimowski suivait les cours de L’École nationale de cinéma de Łódź et qu’il tournait parallèlement sa trilogie ayant pour héros Andrzej Lezczyc, un jeune homme en colère et inadapté qu’il interprétait lui-même devant sa caméra (SIGNE PARTICULIER : NÉANT, WALKOWER et LA BARRIÈRE), ceci aussi avant de s’exiler pour travailler en Angleterre, comme Roman Polanski, et de tourner les classiques qu’on lui connait. Quant à Marek Nowicki & Jerzy Stawicki, ce sont des réalisateurs de la télévision polonaise qui n’ont pas vraiment laissé de traces indélébiles dans l’Histoire du cinéma et de la télévision en dehors de ces deux adaptations courtes de Stanislas Lem.
PROFESSEUR ZAZUL (1965) de Marek Nowicki & Jerzy Stawicki
Autre téléfilm court d’une durée de 22 minutes, toujours réalisé par Marek Nowicki & Jerzy Stawicki, autours du personnage d’Ijon Tichy.
L’intrigue : Ijon Tichy, surpris par l’orage, trouve refuge dans la maison du très antipathique professeur Zazul qui lui dévoile le résultat de ses dernières recherches dans le domaine des maladies mentales… Mais des robots…
Adaptation de la nouvelle « La clinique du docteur Vliperdius » de Stanisław Lem, tirée du recueil « Mémoires d’Ijon Tichy ».
Comme dans le téléfilm précédent, c’est l’acteur polonais essentiellement de théâtre, Piotr Kurowski (1922-2001), qui incarne Ijon Tichy. Kurowski a surtout été un comédien de scène ou de télévision mais il a très peu travaillé pour le cinéma. Il est néanmoins l’un des protagonistes d’une série TV de SF polonaise, KOSMOS (1988) adaptée d’un roman de Witold Gombrowicz.
PROFESSEUR ZAZUL (1965, Profesor Zazul) est le meilleur à mon goût de ces deux téléfilms. Plus proche du film gothique de Savant Fou mais avec une légère touche paranoïaque en prime, cet épisode en est inquiétant de bout en bout.
MILLE FEUILLE (1968) d’Andrzej Wajda
MILLE FEUILLE (1968, Przekladaniec) est un autre téléfilm, mais d’un durée de 38 minutes et réalisé par Andrzej Wajda (rien que pour lui, le film vaut d’être vu).
Autre cinéaste de la Nouvelle-Vague polonaise, Andrzej Wajda quant à lui était proche des idées libérales de Solidarność et un ami de Lech Walesa. Il fut découvert en France avec L’HOMME DE MARBRE (1977, Człowiek z marmuru) et L’HOMME DE FER (1981, Człowiek z żelaza), des films politisés qui évoquent les premiers événements provoqués par le syndicat Solidarność. Mais on lui doit aussi de bons films d’auteur, et d’excellents films de guerre comme ILS AIMAIENT LA VIE (1957, Kanał) ou CENDRES ET DIAMANT (1958, Popiół i diament) ou même DANTON (1983), le classique sur la Révolution Française qu’il a tourné en France en compagnie de Gérard Depardieu.
MILLE FEUILLE traite plutôt de science-fiction et de manière humoristique : Dans un futur indéfini, la science a fait de tels progrès que toutes les greffes sont possibles et réalisables. Un coureur automobile en fera les frais en se retrouvant avec un tiers des organes de son frère et co-pilote mort dans un accident de voiture. Ce qui pose plus de problèmes que prévu car les deux frères ont souscrits à une police d’assurance sur la vie, mais la quantité d’organes greffés semble insuffisante pour que les modalités du contrat soient viables. À l’inverse, un pourcentage des organes du défunt ayant été greffés, ce pourcentage est lui aussi non solvable à plein tarif car « considéré en vie », alors que le survivant greffé au tiers n’est plus tout à fait considéré comme vivant. Puis étant devenu en partie physique son propre frère, certains liens et statuts familiaux doivent être désormais modifiés…
Etc… Etc… Etc…
Une comédie futuriste survoltée et très drôle, avec la jeune chanteuse et comédienne d’origine polonaise, Anna Prucnal, deux ans avant son départ pour la France et sa future naturalisation.
SOLARIS (1968) de Lidiya Ishimbayeva & Boris Nirenburg
Tous les fans de SF connaissent plus ou moins SOLARIS. Bien qu’adapté de Stanislas Lem, ce téléfilm déroge un peu à la règle de cet article, puisqu’il n’est non pas polonais mais russe.
L’intrigue : Kris Kelvin rejoint la station spatiale en orbite autour de la planète Solaris, seulement pour trouver ses deux membres d’équipage en proie à des «fantômes», créations de Solaris. Kelvin est bientôt confronté à son propre fantôme, prenant la forme de sa femme décédée, Hari….
En 1968, quatre ans avant le long métrage d’Andrei Tarkovsky (suivi, en 2001, par l’adaptation de Steven Soderbergh avec George Clooney), la télévision soviétique a tourné ce téléfilm en deux parties, SOLARIS (1968, Solyaris), tiré de l’œuvre la plus célèbre de Stanislas Lem. Comme dans « l’Invincible », écrit deux ans plus tard, l’auteur imagine en 1961, dans « Solaris », la rencontre avec une intelligence extra-terrestre qui échappe complètement au modèle anthropomorphique et qui se double d’un drame humain. Bien qu’un peu long, le téléfilm en noir et blanc des réalisateurs russes Lidiya Ishimbayeva & Boris Nirenburg est une bonne version paranoïaque de l’univers de l’écrivain polonais.
Pour conclure cet article, voici un étrange téléfilm court de science-fiction, sorte de remake polonais moderne des POUPÉES DU DIABLE (1936) de Tod Browning.
LE PREMIER PAVILLON (1965) de Janusz Majewski
L’intrigue : Un jeune scientifique est kidnappé et emmené dans une maison mystérieuse où son ancien professeur mène des expériences pour réduire des êtres humains…
LE PREMIER PAVILLON (1965, Pierwszy pawilon) est un court téléfilm de 24 minutes. Il s’agit de l’un des premiers films de on réalisateur, Janusz Majewski qui fut l’un des professeurs de L’École nationale de cinéma de Łódź de 1969 à 1991 et qui écrivit des romans sous le pseudonyme de Patrick G. Clark. En plus du rapport évident aux POUPÉES DU DIABLE dans son téléfilm, Majewski fait aussi un petit clin d’œil à une scène culte de L’HOMME QUI RÉTRÉCIT écrit par Richard Matheson. Mais au-delà de ces deux références, LE PREMIER PAVILLON relève plutôt de la science-fiction paranoïaque dont le complot gouvernemental est le nœud de l’intrigue, bien que le téléfilm soit abordé sur un ton léger et presque humoristique, à grands renforts d’airs musicaux de jazz.
- Trapard -
Autres sujets de la catégorie Dossier :
Les mondes perdus de Kevin Connor : 1 – Le Sixième Continent, 2 – Centre Terre 7e Continent, 3 – Le Continent Oublié, 4 – Les 7 Cités d’Atlantis / Fascinante planète Mars : 1 – L’invasion vient de Mars, 2 – L’invasion vient de la Terre, 3 – Ménagerie martienne, 4 – Délires martiens / Ralph McQuarrie : créateur d’univers (1), Ralph Mc Quarrie : créateur d’univers (2) / À la gloire de la SF : les pulps / Le cinéma fantastique français existe-t-il ? / Les séries d’Irwin Allen / Les Envahisseurs / Howard ou l’Ange Noir / Le Pays de l’Esprit : essai sur le rêve / Philip José Farmer, ou le seigneur de la ré-création (1) / Philip José Farmer, ou le seigneur de la ré-création (2) / Les dinosaures dans la littérature de science-fiction et de fantastique / Gérard Klein, ou l’homme d’Ailleurs et Demain / L’homme et son double / Jean-Pierre Andrevon, ou l’homme qui déclara la guerre à la guerre (1) / Jean-Pierre Andrevon, ou l’homme qui déclara la guerre à la guerre (2) / Homo Mecanicus (1) / Homo Mecanicus (2) / Jules Verne, ou le scaphandrier de l’Imaginaire (1) / Jules Verne, ou le scaphandrier de l’Imaginaire (2) / Jack Arnold (1) / Jack Arnold (2) / Jack Arnold (3) / Démons et merveilles (1) /Démons et merveilles (2) / Fungi de Yuggoth, ou l’oeuvre poétique / Un tour dans les boîtes de la galaxie / Fin du monde : J-1 / La maison hantée au cinéma / Bernard Quatermass et la famille Delambre / Le Fantastique et les prémices du cinématographe / Excursion galactique : première partie / Excursion galactique : deuxième partie / Radio Horror Shows : première partie / Sur les mers d’Altaïr IV / Radio Horror Shows : seconde partie / La flore extraterrestre au cinéma et à la télévision / Science-Fiction et Fantastique télévisés spécial 14 juillet
Rejoignez le groupe des Échos d’Altaïr IV sur Facebook !