« Je suis heureux qu’elle soit grande et vieille. J’appartiens moi-même à une vieille famille, et cela me tuerait de vivre dans une maison neuve. On ne peut rendre en un jour une maison habitable et, après tout, il ne faut pas tant de jours que cela pour faire un siècle. Je me réjouis qu’il y ait une chapelle datant des temps anciens. Il nous est désagréable à nous autres, nobles de Transylvanie, de penser que nos ossements pourraient se mélanger à ceux du vulgaire. Je ne recherche pas la gaieté, ni les réjouissances, pas plus que je ne recherche la volupté étincelante d’un soleil généreux et de l’eau chatoyante, qui plaisent aux jeunes gens et à ceux qui s’amusent. Je ne suis plus jeune. Et mon cœur, en raison des années péniblement passées à pleurer les morts, n’est pas d’humeur à se réjouir. De plus, les murailles de mon château sont délabrées ; il s’y trouve beaucoup d’ombres, et le vent fait sentir son souffle froid au travers des créneaux et des châssis de fenêtre brisés. J’aime l’ombre et l’obscurité, et je souhaite, lorsque cela est possible, être seul avec mes pensées. »
(Dracula / Bram Stoker)
Alice Carabédian, philosophe et spécialiste de la science-fiction, a déclaré dans le N°9 de Métal Hurlant de novembre 2023 :
« Les dystopies sont devenues aliénantes, par la mise en abîme sans fin d’un présent dont on ne sait plus comment s’échapper. »
L’imaginaire débridé de Jasper Fforde :
les aventures de Thursday Next
- par Sonia Faessel -
Jasper Fforde est un écrivain britannique, d’abord spécialisé dans le cinéma (mise au point de la caméra), puis enfin publié après 76 refus en 2001 chez Penguin Books pour The Jane Eyre Affair, première aventure de son héroïne Thursday Next. Suivront 6 romans, répartis en deux saisons. La première se situe en 1985/86, Thursday Next a 38 ans et l’on suit ses enquêtes dans Délivrez-moi, Le Puits des histoires perdues, et Sauvez Hamlet, traduits au Fleuve Noir puis chez 10/18 et écrits de 2001 à 2004.
Fort de son succès aux Etats Unis, où L’Affaire Jane Eyre est devenu immédiatement un livre culte, Fforde continue la série avec trois romans : Le Début de la fin, Le Mystère du hareng saur et Petit enfer dans la bibliothèque (2007-2012). Cette seconde saison se situe 20 ans plus tard, et Thursday Next a bien du mal à mener une vie familiale cohérente. Le dernier roman de la série : Petit enfer dans la bibliothèque (The Woman Who Died a Lot) est introuvable à l’heure actuelle, épuisé dans la traduction française de 2014, sauf à le payer une fortune sur le marché de l’occasion. Avis aux anglicistes !
J’ai donc dévoré les 6 romans de la série, et je vous recommande cette plongée dans un imaginaire particulièrement riche et parfaitement déjanté. Fforde concocte une tambouille tout à fait réussie avec le policier et la SF, ce qui est rare pour un mélange des genres.
Nous sommes en 1985, dans une Angleterre républicaine, et dans un monde qui mêle la technologie futuriste et un passé victorien, sans être du steam punk néanmoins. Le parti Whig (XIXe siècle) existe toujours, le Tsar aussi, la guerre de Crimée dure depuis 30 ans. Mais on peut aller de Londres à Sydney en 40 minutes en empruntant le gravitube, qui passe par le noyau terrestre pour vous déposer de l’autre côté du globe. Swindon, la ville natale de Thursday Next, ressemble à une bourgade des années soixante, mais l’île de Man, siège de la multinationale Goliath la bien nommée est futuriste, alignant des immeubles dignes de la tour Califat et une technologie semblable à Coruscant. Le décor hétéroclite est agrémenté de créations génétiques d’espèces disparues : un dodo est le compagnon de Thursday, animal parfaitement idiot, des mammouths très encombrants ravagent routes et jardins, des hommes de Neandertal servent de manœuvres et sont la propriété de leur créateur Goliath. Ils sont considérés comme non humains et parviendront finalement à un statut plus juste, sans avoir néanmoins accès à la citoyenneté. Leur particularité : ils détectent immédiatement le mensonge par l’observation du langage corporel, leur moyen de communication privilégié. Leur tribu n’a guère d’admiration pour l’homo sapiens qui passe son temps à se mentir et à mentir aux autres.
Voilà pour l’aspect « folklorique » du monde de Fforde. La vraie réussite est ailleurs. Fforde mène une réflexion sur le statut de la littérature et du lecteur en utilisant un imaginaire extrêmement riche et c’est ce qui rend la lecture passionnante : le monde réel et le monde fictif de la littérature ne sont pas étanches, on peut passer de l’un à l’autre. Fforde part de l’expérience de tout lecteur : il crée un imaginaire à partir des mots qu’il lit et part en dehors du réel le temps de sa lecture. Imaginons que cette expérience soit prise au pied de la lettre : alors, le lecteur peut aller dans le monde du livre et rencontrer les personnages. C’est ce qui arrive à Thursday Next, enquêtrice dans la section 27 des Opspecs, dédiée à la littérature, lorsqu’Achéron Hadès, personnage capable de passer du monde de la fiction au monde réel et vice versa, enlève Jane Eyre contre rançon phénoménale : et pour cause, si Jane Eyre n’est pas rendue, le livre disparaît. Grâce au portail de la prose, mis au point par son oncle Mycroft (il se réfugiera comme par hasard dans Sherlock Holmes lorsque Goliath voudra lui voler ses inventions), Thursday entre dans le livre et réussira à vaincre Hadès. Elle sera obligée de changer la fin de l’histoire, ce qui affolera les clubs brontiens, car la littérature est soutenue par d’innombrables fans, regroupés en clubs, les plus nombreux étant ceux de Shakespeare, à tel point qu’il existe des Shakesparleur à tous les coins de rue, robots qui vous débitent une tirade moyennant l’introduction d’une pièce dans le mécanisme.
A partir du second volume de la série, nous entrons dans le monde des livres que découvre Thursday Next en tant qu’apprentie auprès de Miss Havisham, l’héroïne des Grandes Espérances de Dickens, pour devenir un agent de la jurifiction, car la police existe aussi dans le monde des livres. Ses agents veillent au maintien de la continuité narrative dans tous les livres existants et sont aidés par le service des renseignements du Grand Central du Texte. Il leur faut également veiller à concilier le projet initial de l’auteur avec les attentes des lecteurs, et c’est un défi permanent car les personnages ne sont pas dociles du tout : il faut courir après le Minotaure qui envahit les livres, déjouer les plans des Martiens prêts à envahir pour la énième fois Barnaby Rudge ou convaincre un personnage trop timide pour jouer son rôle de sortir des toilettes. Le total délire est présent à chaque instant et l’insolite devient monnaie courante. Tous les livres existants sont répartis dans la grande bibliothèque, un bâtiment dont on ne voit jamais la fin, sur 26 étages et 300 km de long ; et ce n’est que pour la littérature anglaise, chaque langue a la sienne. Le chat du Cheshire est l’archiviste et connaît l’emplacement de chacun des livres, il est un allié indispensable lorsqu’il faut récupérer un personnage qui se ballade d’un livre à l’autre, une évidence dans le monde des livres, une épreuve pour l’être réel qu’est Thurday, même si elle est douée : une lecture à voix haute et la force de son imagination lui permet d’entrer dans le décor du livre qu’elle lit.
Que se passe-t-il lorsqu’un livre n’est plus lu ou qu’il n’est pas publié ? Ce sont alors les pauvres hères des 26 étages en sous-sol de la bibliothèque qui peuplent le puits des histoires perdues : personnages sans emploi, ils cherchent de petits rôles ou deviennent polyvalents pour remplacer un personnage qui a envie de prendre une pause. Thursday, occupée par ses enquêtes dans le monde des livres, y aura recours pour les rares lecteurs qui liront encore ses histoires dans la seconde saison de la série. Lorsque le livre est définitivement oublié ou impubliable, il échoue dans la gigantesque mer de textes, noyé dans les vagues de mots qui la constituent.
Il arrive encore qu’un personnage fictif réussisse à passer dans le monde réel et à s’y installer : c’est le cas du politicien Yorrick Kaine que combattra Thursday. Grâce à l’ovinateur, invention de Mycroft qui permet de contrôler les esprits par un système d’ondes, il menace de prendre le pouvoir et de faire de l’Angleterre une dictature. La punition est infligée par la fée bleue, seule capable de rendre réel un personnage de fiction, en lui donnant une consistance physique qui l’empêchera de retourner dans le monde de la fiction ; il connaîtra alors le sort des mortels.
La chrono-garde, le service le plus mystérieux des opspecs, peut jouer des tours pendables : Landen, le mari de Thursday, est éradiqué du monde réel, tué à l’âge de 2 ans, et il disparaît pour tous, sauf pour Thursday ; c’est la punition de Goliath envers celle que la multinationale considère avec raison comme son ennemie la plus redoutable. Le père de Thursday, désobéissant aux consignes de la chrono-garde, n’existe que pour de courtes visites dans le monde réel, pourchassé constamment et conséquemment en cavale perpétuelle. Ce sont encore les déplacements dans l’espace temps qui permettent à St Zvlkx, un saint du XIIIe siècle de dicter des révélations qui se réalisent toutes, et pour cause, il a vu ce qui doit se passer.
Thursday devient elle-même un personnage lorsque ses aventures sont publiées et elle devra affronter son double, créé pour l’occasion et beaucoup plus vendeur qu’elle, une Thursday violente et très portée sur le sexe ; inversement un autre double d’elle sera créé dans une fiction supervisée par Thursday pour contrer cette image qu’elle n’aime pas et qui lui a été volée par des éditeurs soucieux de succès commerciaux avant tout. C’est cette autre Thursday qui lui sauvera la vie dans le 5e volume de la série, Le Mystère du hareng saur.
Inutile de raconter les aventures de Thursday Next, elles sont suffisamment passionnantes pour vous tenir en haleine tout au long de la série. Le jeu entre réalité et fiction, la mise en abyme du statut d’auteur et du lecteur sont les vraies aventures de cette lecture. Saviez-vous, cher lecteur, que lorsque vous avez un coup de fatigue, c’est provoqué par le monde des livres lorsque le personnage qui doit jouer son rôle est tragiquement absent ? Et vous, cher auteur, vous pensez avoir de l’imagination, mais heureusement que les tuyauteries à haut débit de l’imaginaire du monde des livres fonctionnent plein pot pour vous suggérer les bonnes idées et les bonnes images…
A bon entendeur, salut !
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RICHARD MATHESON
ou les itinéraires de l’Angoisse
- deuxième partie -
La première partie est disponible ICI.
(Texte écrit par Mandragore au début des années 90)
Voici donc Matheson scénariste. Après le succès considérable du film « L’Homme qui rétrécit », on fait de plus en plus appel à lui. Matheson délaisse alors un peu sa carrière d’écrivain. Il écrit cependant pour « Playboy », magazine highclass, « The Splendid Source » (« Le Haut Lieu »), nouvelle dans laquelle il imagine comment se forment et se transmettent toutes les histoires drôles. Ici, les blagues s’avèrent être non le fait d’un folklore impersonnel mais bien l’œuvre consciente d’un groupe particulier.
Il sacrifie peu à peu les pirouettes intellectuelles et les procédés spectaculaires au profit d’un fantastique plus intime, intériorisé, où les forces qu’affronte l’homme sont issues du fond même de son inconscient. Il en résulte un notable changement de ton. Richard Matheson ne cherche plus à briller, ni à secouer son lecteur par un traitement de choc. Littérature et cinéma deviennent pour lui deux façons de traduire toutes les facettes d’un même univers, deux manières de dire l’angoisse et la solitude, deux chemins conduisant à la peur. Il adapte à l’écran certaines de ses histoires, nous offrant ainsi deux versions tout aussi efficaces. C’est ce qui se passa en particulier lorsqu’il travailla, de 1959 à 1964, pour la célèbre série télévisée de Rod Serling « The Twilight Zone » (NDLR : série La Quatrième Dimension). Il semble que Matheson se soit senti particulièrement à l’aise dans cette saga composée pour la plus grande part d’épisodes d’une demi-heure où il fallait raconter une histoire courte se terminant par une chute inattendue. Il écrivit donc une quinzaine de scénarii : « Third from the Sun », « Little Girl Lost », « The Mute », « The Death Ship », « Nightmare at 20 000 Feet », « Night Call » ou « Once Upon a Time » qui eut pour interprète Buster Keaton.
Parallèlement à « The Twilight Zone », Richard Matheson participa, à partir de 1960, à la série « Poe » de Roger Corman. Il y signa quatre adaptations : « House of Usher », « Pit and the Pendulum », « Tales of Terror » et « The Raven ».
Si sa production littéraire baisse en quantité, la qualité, elle, est au rendez-vous. Témoin ce « Deus ex Machina », récit très « dickien » sur un robot découvrant peu à peu sa véritable nature dans un monde sur-mécanisé. « I am Legend » est adapté à l’écran en 1964 par Sidney Salkow sous le titre « The Last Man on Earth », avec Vincent Price dans le rôle principal. Ce fut un tel massacre que Richard Matheson préféra signer d’un pseudonyme : Logan Swanson. Une seconde adaptation vit le jour en 1971, sous le titre « The Omega Man », avec Charlton Heston, et réalisé par Boris Sagal.
L’année suivante, il collabore à « Star Trek » avec un épisode intitulé « The Enemy Within ». En 1971, il écrit pour un tout jeune réalisateur… Steven Spielberg, un scénario d’une de ses nouvelles parue dans « Playboy » : « Duel ». Cette histoire d’un automobiliste luttant contre un camion fou et… inhabité, contribua sans aucun doute à faire connaître Spielberg qui en serait peut-être resté là sans lui ! La même année Richard Matheson revient au roman avec « Hell House » (« La Maison des Damnés »), classique histoire de maison hantée. En 1972, il rencontre Dan Curtis. Naîtront alors deux téléfilms grandioses : « The Night Stalker » (« Le Chasseur Nocturne » qui met en scène un détective de l’Étrange du nom de Carl Kolchak. Ce dernier intrigué par la découverte périodique de cadavres de jeunes femmes dans les ruelles sombres de Las Vegas, finit par acquérir la certitude que le tueur n’est pas un être humain. Seul face à l’incrédulité publique, il se lance à la poursuite d’un vampire millénaire doué d’une force colossale. Puis, c’est « The Night Strangler » où Kolchak affronte dans une prodigieuse ville souterraine un alchimiste immortel. Il adapte en 1974 le « Dracula » de Bram Stoker. Nonobstant le titre français idiot : « Dracula et ses femmes vampires », c’est une œuvre originale qui dépasse les clichés d’antan. Le saigneur n’est plus le monstre froid de Fisher ou l’aristocrate pervers de Browning. C’est un « étranger en terre étrangère », vulnérable et passionné, non plus inhumain mais surhumain.
Il donne en 1978 « Bid Time Return » (« Le Jeune Homme, la Mort et le Temps »), superbe roman de SF : un homme de 36 ans confronté à la mort, tombe amoureux d’une actrice du XIXème siècle. Le héros voit approcher son propre anéantissement mais il trouve dans un univers apparemment révolu une issue précaire, mais combien romantique, à la mort. Adapté au cinéma, ce livre est devenu « Somewhere in Time » (NDLR : Quelque part dans le temps, voir le film ICI) de Jeannot Szwarc. Après « What Dreams may come » en 1978, Richard Matheson avoue dans « Ce que je crois » qu’il n’a plus envie d’écrire de romans ni de nouvelles. Qu’il vivra d’adaptations cinématographiques commerciales et que seul le théâtre le tente encore.
Même si Matheson ne ressuscite plus jamais à la manière d’un Silverberg, du moins a-t-il créé une œuvre fascinante au style hitchcockien, économe, étonnante de rigueur et d’efficacité. Il a exploré pour nous, lanterne haute, toutes les facettes de l’angoisse, de la solitude et de la peur. Il en a ri et nous en a fait rire. Il en a frémi et nous en a fait frémir. Mais aujourd’hui parce que cette grande voix s’est tue, il nous faut bien reconnaître, par-delà la cohérence de ses constructions parfois indécentes de subtilité, la présence d’une qualité indéfinissable, indicible et intransmissible : le génie !
- Mandragore -
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RICHARD MATHESON
ou les itinéraires de l’Angoisse
- première partie -
(Texte écrit par Mandragore au début des années 90)
Ni écrivain de SF au sens propre, ni « maître de l’horreur » spécialisé dans les effets sanglants, ni super-pro, ni scénariste-tâcheron de la Mecque du Cinéma, Matheson fait partie du plus pur courant de la « fantasy » anglo-saxonne. Ce mot, plus riche en connotations que la simple référence française au Fantastique, s’articule autour d’un certain nombre de préoccupations d’ordre métaphysique : l’angoisse, réaction fondamentale, révulsion face à notre néant ; la solitude, l’incommunicabilité ; mais aussi, la hantise du déterminisme, le sentiment que tout est joué d’avance, que l’être vulnérable n’est qu’une marionnette suspendue aux fils du Destin.
Pour exprimer ces thèmes majeurs, Matheson recourt le plus souvent à la nouvelle, minimaliste, étonnamment économe, ce qui pose parfois des problèmes de sens pour le lecteur non aguerri. En 1950, son premier texte : « Born of Man and Woman » (« Journal d’un Monstre ») (NDLR : à lire ICI), paraît dans « The Magazine of Fantasy and Science Fiction ». Dès lors, Richard Matheson, frêle jeune homme de vingt-trois ans, est considéré comme faisant partie du gotha. Quatre pages squelettiques lui auront suffi pour entrer en Littérature par la Grande Porte.
Mais qui est cet écrivain mystérieux pour lequel toute l’Amérique soudain s’enflamme par ce bel été de l’an de grâce 1950 ? Richard Matheson est né dans le New Jersey le 20 février 1926. Il fréquente le « Brooklyn Technical Highschool » jusqu’en 1943, puis, effectue un service militaire plus que mouvementé en Europe entre 1944 et 1945. De retour au pays, le petit GI devient écrivain. Il eût très bien pu devenir musicien, comédien ou journaliste (il avait été formé pour cela à l’Université du Missouri) sans ce phénoménal premier succès.
Après avoir fait pénétrer le lecteur dans l’univers mental d’un mutant haï et pitoyable, Richard Matheson produit deux textes qui ne brillent pas par leur originalité : « Third from the Sun » (NDLR : qui a donné l’épisode de LA QUATRIÈME DIMENSION « Troisième à partir du Soleil » à voir ICI) et « When the Waker sleeps ». Visions et moralités y évoquent davantage Wells que les courants contemporains. Peu lui chaut ! Ce qui l’intéresse, c’est l’homme, l’individu projeté dans un monde auquel il ne comprend rien et dans lequel, souvent, il n’a pas sa place. Le devoir de déchiffrer à l’aide de la Science ! C’est ce qui différencie Matheson des autres écrivains de SF qui avaient, ont besoin d’un Étalon, d’un Ordre, d’une Loi. Seuls Dick ou Leiber sont allés aussi loin, chacun à leur manière dans la voie de l’incertitude.
Une œuvre révélatrice à cet égard : « The Thing » (« La Chose », 1951) à ne pas confondre avec la nouvelle de Campbell. Ici, l’auteur prend la SF à son propre piège en consacrant la victoire de la fiction sur la logique, de l’irrationnel sur le rationnel. « La Chose » est un pied de nez à la Physique, un défi aux Mathématiques (une société totalitaire cache un artefact, une machine au mouvement perpétuel qui nie tous ses postulats). De même, chez Matheson, la guerre future passe par la sorcellerie (« Witch War »), les objets prétendument inanimés sont doués d’une vie vorace (« Clothes make the Man »), les monstres ne sont pas toujours ceux que l’homme désigne comme tels. La perspective bascule, les règles se détraquent, la raison s’éparpille. On retrouve également ce souverain et insouciant mépris de la Loi dans « I am Legend » (1954).
Après quarante textes envoûtants où Richard Matheson explore explosif tous les grands thèmes du genre, survient Le Roman. Un de ces livres rares qui constituent la synthèse parfaite d’un créateur, une sorte de manifeste aux prolongements ineffables, une superbe histoire dont on n’a jamais fini de faire le tour. Techniquement, c’est une gageure. Un livre qui met en scène un seul personnage (ou presque). Pourtant aucune monotonie. Cette œuvre nocturne évoque un monde d’après l’apocalypse : un seul humain survivant parmi des hordes de goules mutantes. Mais le vampirisme n’est ici qu’un prétexte. Le thème central ? La solitude de Robert Neville, l’angoisse existentielle face au néant qui engloutira, à la fin du roman, l’humanité tout entière en sa personne. Les buveurs de sang calfeutrés dans des donjons d’un autre âge déferlent soudain sur les technopoles et assiègent le dernier représentant d’une espèce naguère dominatrice. Ce fantastique renversement de situation confère à l’œuvre une portée universelle, niveau rarement atteint par la gent ténébreuse. (NDLR : adapté au cinéma en 1971 dans le film de Boris Sagal THE OMEGA MAN, en français LE SURVIVANT, à voir ICI).
Richard Matheson est désormais durablement affublé de l’étiquette SF. Mais , après tout, puisque celle-ci se vend, pourquoi ne pas faire semblant d’en écrire ? Suivant quelques histoires qui reposent sur une idée de départ « incroyablement frappante ». Ainsi, « The Man who made the World » (« L’Homme qui fit le Monde ») : le monde a cinq ans et a été créé par un démiurge-enfant ; « Being » (« L’Être », traduit en français sous le titre « Le Zoo ») : un pompiste est engagé par un E.T. naufragé pour lui procurer de la nourriture, soit un homme tous les deux jours ; « Dance with the Dead » (« Danse Macabre ») : des zombis, appelés « néozons », capables d’exécuter des girations spasmodiques sous l’action d’un agent microbien, animent des spectacles pour un public pervers et blasé ; « The Funeral » (« Funérailles ») : un vampire s’adresse à une célèbre maison de pompes funèbres pour organiser un somptueux simulacre d’enterrement auquel il convie tout le gratin de la thaumaturgie.
Deux ans et demi après « I am Legend », Richard Matheson force les portes d’Hollywood avec « The Shrinking Man » (« L’Homme qui rétrécit ») (NDLR : film à voir ICI), roman qui s’inscrivait dans une vaste stratégie consistant à allécher les producteurs avec un bon sujet puis à le leur vendre à l’unique condition d’en tirer lui-même le scénario pour une adaptation cinématographique. Cela marcha parfaitement. Un, par ce que le sujet était superbe et très visuel à une époque où le cinéma fantastique américain manquait cruellement d’idées originales ; deux, parce que Matheson s’avère être un scénariste-né. Éreintée par Damon Knight, cette œuvre illustre une fois de plus l’épopée solitaire d’un héros vulnérable qui sombre dans l’inconnu. En France, se développa rapidement une polémique : Richard Matheson n’était-il finalement qu’un affreux plagiaire ? On releva, en effet, 21 similitudes entre son livre et celui écrit en 1928 par l’écrivain français Maurice Renard, « Un Homme chez les Microbes ». Mais ces soupçons non fondés se dissipent. Même Cocteau déclare que l’objet du délit est un fabuleux roman poétique.
Fin de la première partie.
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Les éditions Omaké Books, qui publient déjà l’excellent mook Rétro Lazer, sont à l’origine de ce petit livre de plus de 250 pages, paru discrètement en septembre 2022, et intitulé : « La Quatrième Dimension, la Série TV : La Morale au Service du Fantastique ».
Dans cet ouvrage écrit par Philippe Poitiers, enseignant en université, « l’auteur analyse la genèse, les mécanismes narratifs, les thématiques et les sources d’inspiration littéraires et cinématographiques de La Quatrième Dimension. Il décrypte également l’intégralité des épisodes mais aussi sa diffusion en France, la vie de Rod Serling (créateur de la série) ainsi que les multiples objets dérivés. »
Tous les épisodes des différentes saisons de LA QUATRIÈME DIMENSION sont présentés à l’aide d’une fiche technique, d’un résumé, d’une brève critique et d’informations sur le réalisateur et les principaux acteurs. On pourra juste regretter l’absence de renseignements sur le tournage de chaque épisode de THE TWILIGHT ZONE, à l’inverse de son équivalent américain « The Twilight Zone Companion » de Marc Scott Zicree, paru en 1989. Cependant, cette absence est vite oubliée car le livre de Philippe Poitiers peut se targuer d’être, à ma connaissance, le seul et unique ouvrage français entièrement consacré à ce chef-d’œuvre télévisuel qu’est l’incomparable série LA QUATRIÈME DIMENSION. Alors profitons-en !
- Morbius – (morbius501@gmail.com)
« C’est une belle chose, la destruction des mots. Naturellement, c’est dans les verbes et les adjectifs qu’il y a le plus de déchets, mais il y a des centaines de noms dont on peut aussi se débarrasser. Pas seulement les synonymes, il y a aussi les antonymes. Après tout, quelle raison d’exister y a-t-il pour un mot que le contraire d’un autre ? Les mots portent en eux-mêmes leur contraire. Prenez « bon », par exemple. Si vous avez un mot comme « bon » quelle nécessité y a-t-il à avoir un mot comme « mauvais » ? « Inbon » fera tout aussi bien, mieux même, parce qu’il est l’opposé exact de bon, ce que n’est pas l’autre mot. Et si l’on désire un mot plus fort que « bon », quel sens y a-t-il à avoir toute une chaîne de mots vagues et inutiles comme « excellent », « splendide » et tout le reste ? « Plusbon » englobe le sens de tous ces mots, et, si l’on veut un mot encore plus fort, il y a « doubleplusbon ». »
(1984 / George Orwell)
D’Hier et de Demain est un recueil de nouvelles essentiellement de science-fiction et de fantastique, qui font voyager le lecteur à travers de nombreux univers teintés de réalité virtuelle, de robots et de conquête spatiale, en passant par la rencontre de races extraterrestres atypiques, de dragons ou de peuples du passé. Vous vous questionnerez, serez surpris, vous vous interrogerez sur l’avenir de l’Humanité et de l’univers, voire leur passé. Mais surtout, vous rêverez.
L’auteur Kévin GALLOT invite le lecteur, dans ce recueil de nouvelles tout public, à être captivé par des intrigues toutes plus surprenantes les unes que les autres, dans lesquelles évoluent des personnages colorés mais différents, via des questionnements philosophico-éthiques sur l’Humanité, l’Univers et la Vie en général. L’anticipation est de mise. Les chutes de chaque nouvelle font exploser les pensées du lecteur.
La Maison du Livre de la Nouvelle-Calédonie, le Sci-Fi Club NC, les éditions Via Fabula, les éditions Calliope-Alsace, et la communauté d’auteurs Plume d’Argent ont récompensé des nouvelles de ce recueil. D’Hier et de Demain est la deuxième publication de Kévin GALLOT après Le Monde d’Ander aux éditions Edilivre.
- Publifan -
ROBERT SILVERBERG
ou le météore solitaire
- deuxième partie -
La première partie est disponible ICI.
(texte écrit par Mandragore au début des années 1990)
Son œuvre
Pour les uns, l’œuvre de Robert Silverberg s’articulerait autour du thème de l’homme transformé en monstre par des extraterrestres ou par l’exercice du pouvoir. Pour les autres, elle se fonderait davantage sur le voyage intérieur, la quête, le messianisme. Nous retiendrons, quant à nous, une troisième perspective. L’écheveau complexe des textes de RS nous semble répondre à une fonction commune : permettre à l’auteur d’aborder sous des angles variés le problème de la communication.
« Ton univers impitoyable »
RS nous présente souvent un monde trompeur où la liberté de mouvement contraste violemment avec le cloisonnement des esprits, scène dont les principaux personnages ne parviennent pas à vaincre leur isolement, refusant toute mansuétude et suscitant autour d’eux un lugubre commerce de sentiments. Dans « Warm Man » (« La Sangsue »), David Hallihan se nourrit comme un parasite des tourments de ceux qui l’entourent. Dans « The Pain peddlers » (« La Souffrance paie »), les réseaux de télévision s’efforcent de fournir à leur public la douleur qu’il réclame. Et « To see the Invisible Man » présente une société ayant instauré l’invisibilité comme mode de répression : les condamnés sont ainsi réduits à l’état de fantômes et il est formellement interdit à quiconque de leur adresser la parole, sous peine d’être condamné au même sort !
« Thorns » (« Un Jeu cruel ») reprend aussi ce thème vampirique obsessionnel et – il faut bien le dire ! -nettement masochiste : Minner Buris, astronaute devenu un monstre depuis que des E.T. ont reconstruit son corps, parcourt la Terre en compagnie de Lona Kelvin, une jeune fille, mère de centuplés pour les besoins d’une expérience, tandis qu’un organisateur de spectacles gobe littéralement les tensions engendrées par ce couple insolite. La carapace de Burris y symbolise l’écorce physique, psychologique, sociale, de chacun d’entre nous, cette barrière qui recouvre les êtres humains et entrave leurs rapports.
Dans « The Man in the maze » (« L’Homme dans le labyrinthe »), il exploite plus brillamment encore ce point de vue : un nommé Muller a subi, sur une planète mystérieuse, une altération mentale, de telle sorte que nul ne peut l’approcher sans ressentir une implacable vague de dégoût. Comme si son esprit exhalait toutes les fautes de l’humanité. Muller s’est donc retranché dans une ville-piège abandonnée par une race disparue. Mais, un jour, la Terre a besoin de lui et envoie une équipe pour le convaincre de sortir. On assiste alors à une double et coûteuse conquête : celle, physique, du labyrinthe hostile de Lemnos, et celle, psychologique, de Muller dont l’esprit est tout aussi barricadé.
Pour lui, l’homme est « la race la plus méprisable de l’univers, parce qu’il est faux, orgueilleux, superficiel et incapable d’attribuer une âme à ce qui ne lui ressemble pas ». Le drame des apparences conduit aux génocides. Une aversion qui se prolonge également dans le sexe et la mort. L’orgasme et la vie ne sont que des leurres, de brèves et cruelles promesses jamais tenues, qui font entrevoir l’espoir d’une fusion totale. Dans « Le Livre des Crânes » (« The Book of Skulls »), l’immortalité revient à celui qui renonce à la chair puante et vile, à un être tourmenté par une homosexualité qui masque une quête de soi, un égo replié ivre de sa propre image.
Une philosophie rédemptioniste
Pourtant, la générosité, le don, le sacrifice, ne sont pas lettre morte. Surgissent parfois des messies insensés. Ainsi, dans « The Time of changes » (« Le Temps des changements »), Kinnal Darival lutte pour combattre les tabous d’une société qui interdit l’expression du moi. Il trouvera la mort mais son action permettra néanmoins l’avènement d’une révolution qui redonnera leur identité aux habitants de la planète et instaurera une ère de fraternité.
« Downward to the Earth » (« Les Profondeurs de la Terre ») se situe, lui, sur la planète Belzégor, recouverte d’une immense jungle que se partagent deux races : les Nildoriens, qui ressemblent à des éléphants et les Sulidoriens de type humanoïde. Un Terrien, son ancien administrateur colonial, Edmund Gundersen, débarque sur Belzégor, devenue indépendante, dans l’espoir de racheter ses fautes et de participer à la mystérieuse cérémonie de la Renaissance dont ses compatriotes n’ont jamais pu percer le secret.
Perdre sa vie, renoncer à soi, tel est le prix à payer pour n’être plus seuls. La désunion, le corporatisme outrancier sont toujours synonymes de malheur, d’enfermement morbide. C’est pourquoi, dans « Nightwings », les habitants d’une Terre dévastée, répartis en guildes hermétiques, ne peuvent repousser une invasion d’humanoïdes venus prendre possession de la planète après l’avoir achetée. Une manière pour RS de transposer le « flower power » des années hippies. Il reviendra avec « Les Monades urbaines » à un style plus prosaïque, plus amer. Même doué de la faculté de prévoir l’avenir, tel Lew Nichols dans « L’Homme Stochastique », les êtres humains ne peuvent maîtriser le monde. Rien n’est gratuit. Acquérir revient toujours à se déposséder. Le narrateur de « Push no more » (« Pousser ou grandir ») le sait bien, lui, qui perd son don télékinétique suite à sa première expérience amoureuse (toujours cette aversion de RS pour un acte castrateur !). Le télépathe de « Dying Inside » (« L’Oreille interne »), entre visionnaire cosmique et voyeur dégoûté, voit certes se tarir son pouvoir, mais ce qui disparait aussi ainsi c’est « tout ce qui l’a séparé de ses semblables et voué à une vie sans amour ». Une lucidité trop aiguë nous empêche d’être heureux. La confiance ne peut naître et perdurer qu’avec une dose certaine d’ignorance. Au royaume des aveugles, les borgnes sont des rois, oui, mais des rois tristes !
- Mandragore -
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ROBERT SILVERBERG
ou le météore solitaire
- première partie -
(texte écrit par Mandragore au début des années 1990)
Sa vie
Robert Silverberg n’a pas conservé de son enfance un souvenir idyllique : il tombait souvent malade et trouvait son physique ingrat. Il est confronté, très tôt, enfin, à une solitude dont son œuvre à venir portera la marque.
Étranger en terre étrangère
RS est né à New York, dans le quartier de Brooklyn, en 1935. Son père, descendant d’une vieille famille juive d’Europe orientale, exerce la profession d’expert-comptable. Il y consacre la majeure partie de son temps. Sa mère, enseignante, le confie à une aïeule qui l’élève, aidée d’une domestique. Rejeté par des parents pris par leur métier, écarté par des camarades de classe qui le considèrent comme un agaçant « petit génie », il fait de sa chambre un antre-refuge plein à craquer de timbres, de pièces de monnaie, de papillons, de criquets, d’albums et – déjà ! – d’historiettes composées sur une vénérable machine à écrire.
On lui offre à huit ans un abonnement au « National Geographic Magazine ». Cette célèbre revue le subjugue. Elle scellera durablement son amour des contrées lointaines, de l’étrange. Il devient un spécialiste du passé de la Terre. Ne rend-t-il pas chaque semaine aux monstrueux squelettes géants au « Musée Américain d’Histoire Naturelle » ?
Au seuil de son dixième anniversaire, il découvre, ébloui, Jules Verne et H.G. Wells, avec une préférence marquée pour « La Machine à explorer le temps ». Ses romans et nouvelles ont d’ailleurs la part belle aux voyages temporels. Familier, plus tard, d’ « Amazing Stories » et de « Weird Tales », il dévore les anthologies spécialisées. Il éprouve un choc mémorable à la lecture de « Rien qu’un surhomme » d’Olaf Stapledon. Lui, l’enfant trop brillant, quasi-mutant exilé dans ses livres, s’identifie parfaitement à cet « Odd (singulier, bizarre) John » (titre original).
Le fanzineux s’émancipe
Il rêve de devenir un jour botaniste, paléontologue ou astronome mais, dans le même temps, ne cesse d’écrire et de publier dans de petits magazines scolaires et dans une revue qu’il édite lui-même. Il envoie à quatorze ans quelques manuscrits à ses grands aînés qui, tout en refusant ses gammes malhabiles, reconnaissent sa précocité extraordinaire, corrigent son style et ses intrigues. RS perd peu à peu sa silhouette d’adolescent chétif et replié. Il retarde délibérément son entrée à l’Université de Columbia, pour participer successivement à deux camps d’été, sortes de colonies de vacances, qui l’ouvrent à la vie. Il se fait docker, sur les quais de Brooklyn, avant d’explorer, dans le désordre, les vertus respectives de Joyce, Sartre et Kafka, des femmes et de… l’alcool ! La revue anglaise « Nebula » publie en février 1954, sa nouvelle « Gorgon Planet ». Il reçoit, simultanément, le contrat d’édition de son premier roman : « Revolt on Alpha C ». Il n’a pas encore dix-neuf ans !
Négrier du space opera
RS s’aperçoit vite que sa production ne se vend qu’à une condition : répondre aux stéréotypes naïfs du space opera. Résolu à préserver, coûte que coûte, ce qui est devenu son gagne-pain, il écrit désormais sur commande, en collaboration avec Randall Garrett, dès 1955, sous le pseudonyme de Robert Randall. L’association d’un conteur efficace et d’un débutant à l’imagination fertile fait merveille. Le voici introduit dans le petit monde de la SF, côtoyant ses anciens dieux. C’est le début d’une logorrhée inquiétante : SF, Fantastique, Policier, Westerns et même… profils de vedettes ! Désireux d’assurer sa sécurité financière, RS adopte un rythme de travail industriel. Ses amis lui reprochent alors son manque d’ambition littéraire. Cette optique par trop « commerciale » ne l’empêche pas de décrocher en 1956 le prestigieux Prix Hugo. Il est devenu à 20 ans « l’écrivain de SF le plus prometteur de son temps ».
Robert l’éclectique et Robert le meurtri
À la fin des années cinquante, suite à la disparition de nombreux magazines du genre, il quitte, selon ses propres termes « l’incestueuse et douillette famille de la Science-Fiction » et se met littéralement au service de tous les éditeurs capables de respecter leurs délais de paiement. Il écrit ainsi d’innombrables articles à sensation qui ne figureront jamais dans sa bibliographie. Il gagne tant d’argent qu’il envisage de prendre sa retraite à trente ans ! Il travaille cinq heures par jour et cinq jours par semaine en prenant le temps de parcourir le globe, d’étudier l’histoire, la musique et la littérature contemporaine.
Il revient à la SF avec un roman destiné à la jeunesse : « Lost Race of Mars » (1960). Mais on le considère davantage comme un bon vulgarisateur qu’à légal d’un véritable écrivain. Il « rebondit » pourtant avec « Voir l’homme invisible » « Galaxy », 1963), conte poignant inspiré de J.L. Borges et, sans doute, sa première œuvre personnelle. Il décide alors, tout en continuant à rédiger des ouvrages documentaires, de créer des univers romanesques qui effaceront sa réputation peu flatteuse de plumitif.
Au sortir d’une longue et mystérieuse maladie (drogue ?), il écrit ainsi « Thorns » (« Un Jeu cruel ») et « Hawksbill Station » (« La Prison temporelle »). Le premier est une sombre fiction hérissée d’émotions dont se nourrit un marchand de spectacles rapace. Le second nous décrit la survie sordide de prisonniers que l’on a relégués dans un lointain passé, avant même l’apparition de l’homme. L’année 1966 s’annonce donc bien pour lui. Mais voici qu’en pleine nuit le feu détruit presque totalement l’immense maison qu’il s’était édifiée. Dès lors, quelque chose en lui se brise. Il perd du jour au lendemain l’inspiration créatrice qui lui avait permis de composer ses trames sans brouillon.
La guérison est lente. Elle débute avec « Nightwings » (« Les Ailes de la nuit ») qui obtiendra le Prix Hugo, à la Convention de Saint-Louis. Elle se poursuit en 1969, au retour d’un voyage en Afrique, par « Son of Man » (« Le Fils de l’Homme »), fresque d’un lointain futur, et « The World Inside » (« Les Monades urbaines »), tableau clinique d’un univers de tours surpeuplées.
La « retraite » californienne
RS quitte en 1971 sa ville natale pour emménager sur les hauteurs d’Oakland, face à la baie de San Francisco. Déçu par l’accueil réservé à ses « nouveaux » romans (« L’Homme Stochastique » et « Shadrak dans la fournaise »), à la fois novateurs et par trop classiques, irritant pour un public goûtant plus Larry Niven ou Alan Dean Foster, il se résout à couper court, à n’écrire plus de SF que pour la télévision. Il y sacrifiera encore, après dix ans de silence, avec la série des « Lord Valentin », riche saga qui met en scène un jongleur amnésique qui est, en fait, le Coronal, maître de la planète Majipoor.
Fin de la première partie.
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