L’imaginaire débridé de Jasper Fforde :
les aventures de Thursday Next
- par Sonia Faessel -
Jasper Fforde est un écrivain britannique, d’abord spécialisé dans le cinéma (mise au point de la caméra), puis enfin publié après 76 refus en 2001 chez Penguin Books pour The Jane Eyre Affair, première aventure de son héroïne Thursday Next. Suivront 6 romans, répartis en deux saisons. La première se situe en 1985/86, Thursday Next a 38 ans et l’on suit ses enquêtes dans Délivrez-moi, Le Puits des histoires perdues, et Sauvez Hamlet, traduits au Fleuve Noir puis chez 10/18 et écrits de 2001 à 2004.
Fort de son succès aux Etats Unis, où L’Affaire Jane Eyre est devenu immédiatement un livre culte, Fforde continue la série avec trois romans : Le Début de la fin, Le Mystère du hareng saur et Petit enfer dans la bibliothèque (2007-2012). Cette seconde saison se situe 20 ans plus tard, et Thursday Next a bien du mal à mener une vie familiale cohérente. Le dernier roman de la série : Petit enfer dans la bibliothèque (The Woman Who Died a Lot) est introuvable à l’heure actuelle, épuisé dans la traduction française de 2014, sauf à le payer une fortune sur le marché de l’occasion. Avis aux anglicistes !
J’ai donc dévoré les 6 romans de la série, et je vous recommande cette plongée dans un imaginaire particulièrement riche et parfaitement déjanté. Fforde concocte une tambouille tout à fait réussie avec le policier et la SF, ce qui est rare pour un mélange des genres.
Nous sommes en 1985, dans une Angleterre républicaine, et dans un monde qui mêle la technologie futuriste et un passé victorien, sans être du steam punk néanmoins. Le parti Whig (XIXe siècle) existe toujours, le Tsar aussi, la guerre de Crimée dure depuis 30 ans. Mais on peut aller de Londres à Sydney en 40 minutes en empruntant le gravitube, qui passe par le noyau terrestre pour vous déposer de l’autre côté du globe. Swindon, la ville natale de Thursday Next, ressemble à une bourgade des années soixante, mais l’île de Man, siège de la multinationale Goliath la bien nommée est futuriste, alignant des immeubles dignes de la tour Califat et une technologie semblable à Coruscant. Le décor hétéroclite est agrémenté de créations génétiques d’espèces disparues : un dodo est le compagnon de Thursday, animal parfaitement idiot, des mammouths très encombrants ravagent routes et jardins, des hommes de Neandertal servent de manœuvres et sont la propriété de leur créateur Goliath. Ils sont considérés comme non humains et parviendront finalement à un statut plus juste, sans avoir néanmoins accès à la citoyenneté. Leur particularité : ils détectent immédiatement le mensonge par l’observation du langage corporel, leur moyen de communication privilégié. Leur tribu n’a guère d’admiration pour l’homo sapiens qui passe son temps à se mentir et à mentir aux autres.
Voilà pour l’aspect « folklorique » du monde de Fforde. La vraie réussite est ailleurs. Fforde mène une réflexion sur le statut de la littérature et du lecteur en utilisant un imaginaire extrêmement riche et c’est ce qui rend la lecture passionnante : le monde réel et le monde fictif de la littérature ne sont pas étanches, on peut passer de l’un à l’autre. Fforde part de l’expérience de tout lecteur : il crée un imaginaire à partir des mots qu’il lit et part en dehors du réel le temps de sa lecture. Imaginons que cette expérience soit prise au pied de la lettre : alors, le lecteur peut aller dans le monde du livre et rencontrer les personnages. C’est ce qui arrive à Thursday Next, enquêtrice dans la section 27 des Opspecs, dédiée à la littérature, lorsqu’Achéron Hadès, personnage capable de passer du monde de la fiction au monde réel et vice versa, enlève Jane Eyre contre rançon phénoménale : et pour cause, si Jane Eyre n’est pas rendue, le livre disparaît. Grâce au portail de la prose, mis au point par son oncle Mycroft (il se réfugiera comme par hasard dans Sherlock Holmes lorsque Goliath voudra lui voler ses inventions), Thursday entre dans le livre et réussira à vaincre Hadès. Elle sera obligée de changer la fin de l’histoire, ce qui affolera les clubs brontiens, car la littérature est soutenue par d’innombrables fans, regroupés en clubs, les plus nombreux étant ceux de Shakespeare, à tel point qu’il existe des Shakesparleur à tous les coins de rue, robots qui vous débitent une tirade moyennant l’introduction d’une pièce dans le mécanisme.
A partir du second volume de la série, nous entrons dans le monde des livres que découvre Thursday Next en tant qu’apprentie auprès de Miss Havisham, l’héroïne des Grandes Espérances de Dickens, pour devenir un agent de la jurifiction, car la police existe aussi dans le monde des livres. Ses agents veillent au maintien de la continuité narrative dans tous les livres existants et sont aidés par le service des renseignements du Grand Central du Texte. Il leur faut également veiller à concilier le projet initial de l’auteur avec les attentes des lecteurs, et c’est un défi permanent car les personnages ne sont pas dociles du tout : il faut courir après le Minotaure qui envahit les livres, déjouer les plans des Martiens prêts à envahir pour la énième fois Barnaby Rudge ou convaincre un personnage trop timide pour jouer son rôle de sortir des toilettes. Le total délire est présent à chaque instant et l’insolite devient monnaie courante. Tous les livres existants sont répartis dans la grande bibliothèque, un bâtiment dont on ne voit jamais la fin, sur 26 étages et 300 km de long ; et ce n’est que pour la littérature anglaise, chaque langue a la sienne. Le chat du Cheshire est l’archiviste et connaît l’emplacement de chacun des livres, il est un allié indispensable lorsqu’il faut récupérer un personnage qui se ballade d’un livre à l’autre, une évidence dans le monde des livres, une épreuve pour l’être réel qu’est Thurday, même si elle est douée : une lecture à voix haute et la force de son imagination lui permet d’entrer dans le décor du livre qu’elle lit.
Que se passe-t-il lorsqu’un livre n’est plus lu ou qu’il n’est pas publié ? Ce sont alors les pauvres hères des 26 étages en sous-sol de la bibliothèque qui peuplent le puits des histoires perdues : personnages sans emploi, ils cherchent de petits rôles ou deviennent polyvalents pour remplacer un personnage qui a envie de prendre une pause. Thursday, occupée par ses enquêtes dans le monde des livres, y aura recours pour les rares lecteurs qui liront encore ses histoires dans la seconde saison de la série. Lorsque le livre est définitivement oublié ou impubliable, il échoue dans la gigantesque mer de textes, noyé dans les vagues de mots qui la constituent.
Il arrive encore qu’un personnage fictif réussisse à passer dans le monde réel et à s’y installer : c’est le cas du politicien Yorrick Kaine que combattra Thursday. Grâce à l’ovinateur, invention de Mycroft qui permet de contrôler les esprits par un système d’ondes, il menace de prendre le pouvoir et de faire de l’Angleterre une dictature. La punition est infligée par la fée bleue, seule capable de rendre réel un personnage de fiction, en lui donnant une consistance physique qui l’empêchera de retourner dans le monde de la fiction ; il connaîtra alors le sort des mortels.
La chrono-garde, le service le plus mystérieux des opspecs, peut jouer des tours pendables : Landen, le mari de Thursday, est éradiqué du monde réel, tué à l’âge de 2 ans, et il disparaît pour tous, sauf pour Thursday ; c’est la punition de Goliath envers celle que la multinationale considère avec raison comme son ennemie la plus redoutable. Le père de Thursday, désobéissant aux consignes de la chrono-garde, n’existe que pour de courtes visites dans le monde réel, pourchassé constamment et conséquemment en cavale perpétuelle. Ce sont encore les déplacements dans l’espace temps qui permettent à St Zvlkx, un saint du XIIIe siècle de dicter des révélations qui se réalisent toutes, et pour cause, il a vu ce qui doit se passer.
Thursday devient elle-même un personnage lorsque ses aventures sont publiées et elle devra affronter son double, créé pour l’occasion et beaucoup plus vendeur qu’elle, une Thursday violente et très portée sur le sexe ; inversement un autre double d’elle sera créé dans une fiction supervisée par Thursday pour contrer cette image qu’elle n’aime pas et qui lui a été volée par des éditeurs soucieux de succès commerciaux avant tout. C’est cette autre Thursday qui lui sauvera la vie dans le 5e volume de la série, Le Mystère du hareng saur.
Inutile de raconter les aventures de Thursday Next, elles sont suffisamment passionnantes pour vous tenir en haleine tout au long de la série. Le jeu entre réalité et fiction, la mise en abyme du statut d’auteur et du lecteur sont les vraies aventures de cette lecture. Saviez-vous, cher lecteur, que lorsque vous avez un coup de fatigue, c’est provoqué par le monde des livres lorsque le personnage qui doit jouer son rôle est tragiquement absent ? Et vous, cher auteur, vous pensez avoir de l’imagination, mais heureusement que les tuyauteries à haut débit de l’imaginaire du monde des livres fonctionnent plein pot pour vous suggérer les bonnes idées et les bonnes images…
A bon entendeur, salut !
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Science fiction allemande :
Andreas Eschbach
- par Sonia Faessel -
Né en 1959, vivant actuellement en Grande Bretagne, Andreas Eschbach a écrit pas moins de 45 livres, dont la majorité en cycles, hélas peu traduits en France. C’est L’Atalante qui s’y colle, pour le bonheur des amateurs de SF, surtout quand c’est de la bonne. Pour vous mettre en appétit, trois livres.
Station solaire (traduit en 2000) : dans un futur proche, une station spatiale orbite à 400 kms de la planète afin de capter l’énergie solaire pour la rediriger sur la Terre. Eschbach propose un polar en huis clos : 9 astronautes coincés dans un espace minimal, sa description de la station correspondant à ce que l’on peut voir au Space Kennedy Center en Floride. Jack, le seul « yankee » de la troupe, nippone comme l’indique le nom de la station : Nippon, mène l’enquête, sauve tout le monde, et les survivants de ce cauchemar spatial finiront pas être rapatriés. Il faut croire que les héros restent américains, et ils ont du mérite car ils sont proprement méprisés par les Japonais qui ont repris les travaux de la NASA mourante pour cause de crise économique et du déclin définitif des États-Unis. Les rivalités mesquines finissent par s’effacer devant l’accumulation des cadavres, une attaque en règle de terroristes écologistes, le tout est un suspens excellent, et, dans les mains d’un grand metteur en scène, pourrait donner un très bon film.
Des milliards de tapis de cheveux, écrit en 1995, détermina le succès d’Eschbach. Nous sommes dans une galaxie lointaine, sur une planète aride d’où toute trace de civilisation moderne a disparu, et dont les habitants misérables subsistent comme ils peuvent. Tous vivent dans le culte de l’Empereur, considéré comme un Dieu vivant, et dont les règles doivent être suivies avec la plus extrême rigueur, sous peine de mort. Celui qui critique est aussitôt désigné comme blasphémateur et exécuté. La caste la plus respectée est celle des tisseurs : ils passent leur vie à tisser un tapis de cheveux, ont pour cela plusieurs concubines, et ne gardent qu’un fils pour prendre la relève à leur mort. Ils vivent reclus dans leur maison, finissent aveugles et infirmes, mais le prix de la vente de leur tapis au marchand permet à la famille de vivre plusieurs années. Les personnages et la vie sur la planète sont présentés en séquences, qui permettent de reconstituer l’histoire, celle d’une vengeance terrible et injuste, qui a condamné toute une galaxie à un travail inhumain et inutile. Les libérateurs arrivent, mais trop tard pour espérer changer les choses.
Le Dernier de son espèce (traduit en 2006) reprend le personnage de la série des années soixante : L’Homme qui valait trois milliards de dollars. C’est une narration à la première personne, Johnny Fitzgerald, raconte ses errances et ses souvenirs dans le village perdu de Dingle, en Irlande. Il s’est refugié là, après que le programme Steel Men de l’armée US ait cessé. On s’est aperçu en effet que des super soldats bourrés d’implants et avec des os en titane risquaient de manquer de discrétion sur un champ de bataille, évidence tragique qui a condamné ces hommes à une mise au placard, assortie d’une surveillance constante, pour finir par devoir être éliminés quand l’armée a trouvé un autre projet mirifique. C’est donc le blues d’un cyborg, toujours humain, dont le corps devient obsolète au fil des années, avec des pannes de plus en plus nombreuses et difficiles à réparer, à qui les autorités gouvernementales qui l’ont conçu dénient toute humanité et toute liberté. Un récit émouvant, accompagné de la philosophie de Sénèque, la référence de Johnny, le parcours d’une mort annoncée, mais la victoire posthume de ce qui reste irrépressiblement humain, fut-ce dans un homme machine.
Au final, trois romans écrits avec maestria, dans trois registres différents : littérature policière, conte de fées sinistre, récit narratif, à dévorer sans contrainte, plaisir de lecture garanti.
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Rendez-vous ailleurs : Perdido Station de China Miéville
- par Sonia Faessel -
Récompensé par le prix Arthur C. Clarke et le British Fantasy Award, le diptyque Perdido Station révèle les talents d’un grand créateur de science fiction.
On peut y retrouver le graphisme des Cités Obscures de François Schuiten, l’exotisme exubérant des personnages du 4e volet de Star Wars dans le bar du spatioport de Tatooine, les créatures de cauchemar de la saga du Seigneur des Anneaux, et pourtant, l’imaginaire de Miéville propose un monde unique, qui ne ressemble à rien de ce que l’on a pu lire ou voir jusque là.
L’espace décrit est essentiellement celui de la cité de Nouvelle-Crobuzon, un savant mélange d’architectures anciennes et modernes, équipé d’une technologie victorienne : charbon, vapeur, carrioles, câbles, pas d’internet même si certaines machines ressemblent à des ordinateurs, pas de téléphone. L’ensemble est marqué par la décrépitude : moisissures, rouille, murs qui menacent de tomber, rues embourbées, le tout enserré dans deux rivières qui permettent aux bateaux d’assurer le ravitaillement de la ville. Les noms des quartiers (il faut saluer l’imagination du traducteur) sont à eux seuls une bonne évocation : La Poix, Tournefoutre, Foutretombe, Bec de Chancre pour les quartiers populaires ; Vertige Est et Ouest, Mont Mistigri, Mont de St Baragouin pour les quartiers plus chics, perchés sur les hauteurs. Cette ville est millénaire et son histoire s’est perdue, seuls quelques monstruosités étranges évoquent un passé mystérieux, tels les gigantesques côtes qui enserrent le quartier d’Osseville, témoignages d’une créature titanesque venue s’échouer là.
La ville, de quelques deux millions d’âmes, abrite une population d’humains et d’hybrides qui feraient la joie des créateurs d’effets spéciaux. Les Khépri, à tête de scarabée et corps d’homme habitent Bercaille, les Calovires, avec leur corps de chien et leurs ailes de chauve-souris, écument les cieux et vivent sur les toits qu’ils conchient soigneusement, les Yodyanoi sont des créatures au corps mou et puissant qui vivent dans la rivière, les Garuda mi- hommes mi-oiseaux de proie aux ailes somptueuses vivent dans le désert, mais certains ont migré à Nouvelle-Crobuzon. Les Cactus ont un espace à part dans la ville, un gigantesque dôme qui maintient une température élevée sans laquelle ils ne peuvent survivre. Cette population pour le moins hétéroclite se mélange dans le quartier des artistes ou les très nombreuses tavernes et maisons de plaisir qui constituent l’essentiel des commerces de la ville. Chaque espèce conserve plus ou moins sa culture et a développé les dons qu’elle a reçus : les Khépri sont des artistes sculpteurs et peintres capables de modeler n’importe quoi avec leurs sécrétions salivaires, les Calovires sont de bons messagers ou livreurs de marchandises (des sortes de drones biologiques), les Yodyanoi sont capables de modeler l’eau, et quand ils font la grève, on la sent passer : ils ouvrent une trouée de 3 km de long dans la rivière, rendant toute navigation impossible.
Toute cette population est dirigée par un Gouvernement dont les décisions restent secrètes. La milice intervient soudainement et brutalement grâce au système de tours et de câbles qui quadrillent la totalité des quartiers de la ville. Tout converge à Perdido Station, avec ses cinq lignes de trains qui desservent les faubourgs éloignés. C’est un pouvoir despotique et les coupables sont systématiquement recréés, devenant des monstruosités combinant matière organique et mécanique, dans un quartier où l’on entend leurs hurlements, comme on les entendait des animaux qui entraient dans la « maison de souffrance » du Docteur Moreau de H.G.Wells.
Les deux volumes de Miéville nous promènent dans cet espace et ces populations hétéroclites, qui survivent tant bien que mal dans un monde que l’on devine post apocalyptique, même si les dates citées se situent entre 1400 et 1700, mais de quelle ère ?
Le personnage principal, Isaac dan der Grimmebuin, est un savant, bricoleur de génie, qui adore explorer toutes les théories issues de son esprit constamment en éveil, et l’on suit ses recherches et pérégrinations. C’est tout d’abord Yaghareck, l’homme oiseau mutilé, qui vient lui demander de lui rendre ses ailes, non sous forme mécanique, à la manière d’Icare, mais d’une manière organique qui lui permettent de voler à nouveau. Comme la ténacité est la caractéristique d’Isaac, il transforme son laboratoire de Marais-aux-Blaireaux (le quartier des savants) en une ménagerie de tout ce qui vole pour étudier l’essence même de l’action de voler. C’est au cours de ses recherches qu’il va déclencher la catastrophe en élevant sans le savoir une Gorgone, qui s’empressera de libérer ses sœurs, retenues au secret par le Gouvernement qui mène des expériences que nul ne connaît.
À partir de l’éveil des gorgones, le récit combine la science-fiction et l’heroic fantasy, puisque les créatures évoquées ont des pouvoirs dignes des plus grands sorciers. Les gorgones ont la capacité d’hypnotiser n’importe quel être doué d’un esprit en agitant leurs ailes immenses aux couleurs psychédéliques, et leur proie clouée sur place se laisse aspirer tout ce qui constitue son esprit. Ne subsiste alors qu’une enveloppe vide, un corps privé de réactions, à la manière d’un coma. Les gorgones sont indestructibles ou presque, car elles évoluent sur plusieurs plans de réalité et aucune arme classique ne peut les atteindre. La ville devient alors un réservoir inépuisable pour ces vampires psychiques et le défi sera pour Isaac et ses improbables compagnons, le Garuda, Lin, sa maîtresse khépri et artiste, Lemuel, le bandit qui connaît tous les trafics de la ville et dont le réseau est inestimable pour trouver ce dont on a besoin, et Derkhan, la compagne xénian de Lin, de trouver le moyen de les anéantir. Les rencontres sont dangereuses, à la mesure des créatures qui proposent leur aide : qu’il s’agisse de la fileuse, une titanesque araignée capable de voyager dans l’espace temps, mais dont les réactions sont totalement imprévisibles et mortelles, du gigantesque robot de la décharge, capable de traiter toutes les informations par les connexions qu’il établit avec son armée de robots et d’humains à son service, du nécromancien doyen de l’université d’Isaac, ou encore du mystérieux Madras, patron absolu de toute la pègre de la Nouvelle-Crobuzon. Malgré les refus, dont l’ambassadeur des enfers, les pertes cuisantes de compagnons amis, les gorgones seront anéanties dans une séquence qui n’est pas sans rappeler celle du second volet de Ghost Busters : Isaac réussit à attirer les gorgones en suscitant leur faim insatiable et les habitants se souviendront longtemps de ce rayon étincelant au sommet de la gare de Perdido Station.
En résumé, une aventure merveilleuse à lire d’un bout à l’autre, une plongée dans un ailleurs unique, à la mesure des grands créateurs.
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The City & the City, une métaphore particulièrement réussie de notre société occidentale, par China Miéville.
- par Sonia Faessel -
L’auteur est anglais, a obtenu de nombreux prix, et il est le digne descendant d’Orwell, de Kafka, pour l’absurde et le pouvoir occulte inaccessible, de la série Noire américaine pour le personnage de détective, caractérisé par sa ténacité à découvrir la vérité dans un monde qui lui échappe.
La non communication est la principale caractéristique de nos sociétés depuis l’arrivée massive des smartphones et des tablettes, il suffit de regarder les gens dans un aéroport, une gare, un bus : ils sont à moins d’un mètre les uns des autres, ne se regardent pas, n’échangent pas un mot, le nez sur leurs appareils. Dans ce cas, poursuivons la logique : deux villes, intimement mélangées, mais totalement séparées. La loi comportementale exige qu’un habitant de Beszel « évise » son voisin d’Ul Qoma et inversement, faute de quoi, il commet le crime de « rupture » et disparaît purement et simplement, happé par cette institution redoutable qui voit tout, contrôle tout, et apparaît immédiatement lorsque le délit est commis. Il faut aussi ne pas sentir (« insentir »), ne pas écouter (inouir) lorsque votre espace de vie est « brutopiquement » situé, entendez par là, lorsque votre voisin d’à côté ou d’en face n’est pas de votre ville. Aucune place pour le sentiment, ce qui compte, c’est la norme, être conforme à ce qui est attendu, et, là encore, comment ne pas reconnaître la toute puissance du conformisme qui règle actuellement nos sociétés ?
Alors qu’Orwell invente Big Brother, Miéville invente la Rupture, une institution secrète, qui n’a de contrôle que sur elle-même, et intervient avec une efficacité effrayante, maintenant les deux populations dans un état d’angoisse permanent. On pense aussi à la Stasi, la police des ex-pays de l’Est, d’autant que le cadre temporel du roman suggère un XXIe siècle proche des idéologies communistes et libérales. Aucune explication n’est donnée quant à la partition des deux villes, l’une moins évoluée que l’autre, résolument tournée vers la modernité, architecturale tout au moins, car, pour ce qui est des technologies actuelles, elles ne semblent pas intéresser l’auteur, qui équipe ses villes de vieux ordinateurs, et d’un « google » hésitant quant au débit. La manipulation, autre caractéristique du monde actuel, est donc reine, et les habitants ont accès aux informations qu’on veut bien laisser filtrer.
Une légende urbaine veut qu’il existe une troisième ville, Orciny, qui vit à l’interstice des deux autres, c’est le sujet sur lequel travaille la jeune américaine assassinée au début du livre, découverte par Tyador Borlu, inspecteur de la Criminelle de Beszel. Son enquête va le mener d’une ville à l’autre, avec toutes les tracasseries que cela implique, et l’opacité finira par se déchirer pour ne révéler qu’un banal trafic d’objets d’art concernant la période pré-clivage des deux villes. C’est parce qu’il éprouve quelque chose, ne serait-ce qu’un sentiment d’injustice, de la compassion pour les victimes, qu’il finit effacé dans la Rupture, recruté de force dans un monde entre les deux villes. Le prix à payer : il devient invisible pour tout le monde, car aucun habitant des deux villes n’a le droit de le voir, encore moins de lui parler, sous peine de rupture.
C’est donc une lente dissolution de l’individu que China Miéville met en scène, de manière magistrale, dans un roman au goût d’étrangeté, mais singulièrement proche de nous, pour peu que l’on se donne la peine de voir les analogies avec notre époque.
Un grand livre, à lire absolument.
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Du bon space opera classique : La Saga des sept soleils, par Kevin J. Anderson
- par Sonia Faessel -
Anderson est un bon auteur de space opera, il a participé à Star Wars, c’est dire la référence ! Il a aussi coécrit avec le fils de Frank Herbert, Brian, des suites et des préquelles à une autre grande saga de référence, Dune. Deux influences qui ont inspiré cette saga qui compte 7 volumes, comme le titre l’indique, et bon voyage dans les 4500 pages de l’ensemble !
On peut en zapper un ou deux, car il y a un solide résumé de l’histoire au début de chaque volume, mais chaque livre se termine par un cliff hanger, et le lecteur se retrouve captivé. C’est dire que la série se lit tout à fait bien !
Le tour de force d’Anderson consiste à fragmenter le texte en de courts chapitres consacrés chacun à un personnage, et tout se tient, le processus d’identification fonctionne, l’on découvre les différentes cultures, modes de vie et habitats qui sont dans le « bras spiral » de la galaxie. Tout est donc au point pour une bonne série TV, en plusieurs saisons, et gageons que cela se fera peut-être.
Quelles sont les forces en présence ?
- Les humains : onze vaisseaux interstellaires sont partis il y a plus de deux siècles pour conquérir l’espace. Grâce à la rencontre avec les Ildirans, un peuple humanoïde, les humains ont découvert la propulsion interstellaire et ont essaimé des colonies à partir des passagers de leurs vaisseaux. Sur la planète Terre, la Hanse dirige tout, notamment le commerce, comme son nom l’indique, en référence à la Hanse des pays baltiques au Moyen Âge. Le Président, Basil Wenceslas, est le seul à prendre des décisions, et met en place un roi fantoche, symbole important pour les foules, marionnette à sa disposition.
Un vaisseau n’a pas fait souche sur une planète, ses habitants, qui se nomment eux-mêmes les vagabonds, ont décidé de conserver leur indépendance en dispersant leurs habitats sur des planètes, astéroïdes et stations spatiales soigneusement dissimulés à la Hanse, à laquelle ils n’ont pas fait allégeance. Ils se caractérisent par une ingéniosité sans limite, une foi inébranlable en leur capacité à trouver des solutions aux plus graves problèmes, vivent en clans familiaux, et ont réussi à devenir indispensables à tout le monde en devenant des experts dans la collecte de l’etki, le combustible incontournable pour toute propulsion interstellaire.
Une autre planète, Théroc, est couverte d’une gigantesque forêt, capable d’engranger toutes les informations, entretenue soigneusement par les prêtres verts, seuls capables de communiquer avec elle et de transmettre, grâce au surgeon qu’ils transportent avec eux, n’importe quel message de quelque planète que ce soit dans le bras spiral. C’est la seule communication instantanée qui existe.
De même que les vagabonds, les habitants Théroc ne se sont pas soumis à la Hanse, et sont eux aussi indispensables.
- Les Ildirans : tous liés ensemble par les fils du thisme, communication interpersonnelle dirigée par le mage imperator qui accède à la « source de clarté » après le cérémonial de la castration. Chacun des fils de l’imperator est « premier attitré » d’une planète colonisée et il suit les instructions du mage grâce au lien du thisme, particulièrement fort puisqu’il est issu de sa chair. Les remémorants ont pour charge de raconter et d’agrandir la saga des sept soleils, l’histoire du peuple ildiran. Ces sept soleils gravitent autour de la planète Ildira, le palais des prismes est objet de pèlerinage : chacun peut bénéficier de la protection bienveillante du mage imperator, chaque Ildiran rêve d’un exploit digne de figurer dans la saga des sept soleils. Les deux caractéristiques de ce peuple sont qu’ils ne supportent pas l’obscurité, non plus que la solitude. Isolé du thisme n’importe quel Ildiran devient fou.
- Les Klikiss : espèce insectoïde disparue depuis plus de 10 000 ans, dont les robots intelligents et indépendants subsistent. Ils avaient développé une civilisation très avancée, comme en témoignent les ruines klikiss disséminées sur les planètes. Leurs robots les ont exterminés jusqu’au dernier et ils ont bien l’intention de faire de même avec les humains et les Ildirans, considérant que la vie organique est nuisible à la galaxie.
Ces trois forces se décomposent en des personnages, porteurs d’un trait de caractère ou d’une fonction, protagonistes de l’action. Les humains sont bien entendus les plus dangereux car imprévisibles : dès les premières pages, ils déclenchent la guerre galactique en faisant brûler une planète pour essayer une arme klikiss décryptée dans les ruines par une xeno archéologue. Manque de chance, la planète abritait des créatures vivant à l’intérieur et l’empire caché (titre du premier volume) des hydrogues va faire chèrement payer aux humains, mais aussi à ceux qui habitent le bras spiral, leur génocide involontaire. C’est encore les humains qui ressusciteront les Klikiss à partir d’un cadavre intact retrouvé, et ils vont se révéler des ennemis redoutables, invincibles de par leur multitude. Heureusement, les portails dimensionnels des Klikiss sont eux aussi découverts et vont permettre dans un futur proche l’arrêt de la propulsion interstellaire.
De leur côté, les Ildirans ont misé sur des formes hybrides entre eux-mêmes et les humains qu’ils ont récupérés de l’un des vaisseaux monde. Isolés sur une planète perdue, ils constituent un troupeau reproducteur en vue de créer l’hybride idéal capable de communiquer avec les hydrogues, contre lesquels les Ildirans s’étaient battus dix mille ans plus tôt. Pour rester en paix, les Ildirans avaient consenti à réveiller les robots klikiss, alliés des hydrogues.
Les Klikiss, quant à eux, passent leur vie à construire des ruches reproductrices dirigées par un spesec, et mènent entre eux une guerre de destruction totale.
Ces trois espèces vont affronter des êtres élémentaires intelligents et organisés, et c’est là l’originalité de la saga d’Anderson. Au fur et mesure de la lecture, on découvre d’abord les hydrogues, créatures de l’air puisqu’elles vivent dans les géantes gazeuses, puis les fueros, créatures de feu qui vivent dans les soleils, ensuite les wentals, créatures de l’eau qui peuvent essaimer toutes les masses d’eau rencontrées, et enfin les verdani, créatures de la terre, issues des arbres de la forêt monde de Théroc. Face à la puissance de destruction de ces forces élémentaires, les humains et les Ildirans ne sont que spectateurs, immédiatement détruits lorsqu’ils essaient d’affronter l’une d’elle, leur technologie n’étant que fétu de paille, et ils assistent, impuissants à l’éradication de systèmes solaires entiers.
Mais il arrive que l’hybridation soit possible et c’est ce qui permettra de mettre fin à l’affrontement cosmique : un prêtre vert se transforme en arbre et peut invoquer les verdani, vaisseaux arbres capables d’emprisonner les hydrogues, un vagabond qui recueille dans l’espace l’eau d’un wental devient mi-wental mi humain, une petite fille métisse d’un premier attitré ildiran et d’une prêtresse verte s’avère capable de communiquer avec les hydrogues, un Ildiran, frère du mage imperator, se mêle à un fuero et entreprend une guerre meurtrière contre l’imperator qu’il considère comme un usurpateur, enfin, un humain parviendra à s’unir avec les Klikiss tout en conservant son identité.
Tout est donc réuni pour une multiplication des intrigues, tant politiques que militaires, et chaque personnage est un fil de la saga. Le tout est parfaitement clair et passionnant. Seul point faible : l’ensemble ne dépasse pas la soif de pouvoir, incarnée par le Président de la Hanse ou le frère fou du mage imperator. La « Force » n’est pas vraiment là, et c’est un peu dommage, mais la virtuosité de la composition de la saga permet de passer un excellent moment de lecture.
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Nora K. Jemisin : Les Livres de la Terre fracturée (trilogie)
Broken Earth, 2016/17/18
L’auteur : afro-américaine, 57 ans, formation universitaire en Lettres et psychologie, récompensée du prix Locus pour le premier volume de sa première trilogie, les Cent mille Royaumes (2011).
Pour sa seconde trilogie de la Terre fracturée, elle obtient le prix Hugo pour chacun des volumes, ce qui est tout à fait exceptionnel.
Le genre : Science Fiction - Monde post apocalyptique
Thèmes : écologie, Terre vivante, féminisme, rejet de la différence
Sujet : le parcours d’une femme et de sa fille qui découvrent leur différence et leur terrible pouvoir dans un futur lointain et dans un monde réduit à un seul continent soumis à de constantes transformations, toutes aussi cataclysmiques les unes que les autres.
Écriture : c’est dans doute la véritable originalité de cette trilogie, intitulée fort justement en français « les Livres de la Terre fracturée », car il s’agit en effet d’une narration faite par un personnage pluri millénaire, Hoa, seul capable de faire le lien entre les personnages et les événements, de par la vision globale que son grand âge lui permet.
Les adresses au lecteur fusionnent avec le narrateur et l’auteur joue sur le dialogisme, ce qui n’est pas habituel dans les récits de science fiction.
Synopsis :
Trois groupes humains ont survécu à la première « fin du monde » : les comm’ humaines, plus ou moins prospères, regroupées en villes fortifiées ou éparpillées en villages ; les orogènes, dont les gardiens et le fulcrum canalisent le pouvoir, car ils peuvent communiquer avec la géologie de la planète et provoquer des éruptions volcaniques terribles. Leur pouvoir se révèle lorsqu’ils sont en proie à une violente émotion et détruisent sans le vouloir toute vie autour d’eux en déployant un tore qui congèle instantanément humains, animaux et plantes. Ils sont donc honnis, traqués, tués dès leur jeune âge, sauf quand ils sont pris en charge par les gardiens impériaux et strictement contrôlés.
L’histoire d’une enfant orogène est alors racontée dans le premier livre, La Cinquième Saison, dans une chronologie inversée : de la femme mariée Essun, qui découvre son fils de trois ans assassiné par son mari, en fuite avec sa fille Nessun, on découvre l’enfant qu’elle a été, enlevée par son gardien Schaffa au fulcrum où elle subit la terrible discipline destinée à la contrôler, puis la femme puissante consciente de l’injustice et décidée à se venger.
Le troisième groupe est celui, mystérieux, des mangeurs de pierre, dont le narrateur fait partie. Ils sont les descendants d’une race disparue, les Niess, exploitées jusqu’à extinction pour leur pouvoir. Ils communiquent avec la planète et sont capables de se déplacer à l’intérieur de la Terre. Le prix à payer est une minéralisation de leur corps, leur nourriture : un orogène puissant qu’ils consument dès que ce dernier utilise la connexion avec les « obélisques », système énergétique très complexe mis en place par une civilisation disparue.
L’histoire est un trajet et une réflexion sur le pouvoir, la conquête de la liberté, une tentative de rédemption pour rétablir un équilibre.
La métaphore de la planète éclatée reflète les préoccupations actuelles : les perturbations à venir dues au mépris de l’environnement deviennent la figure du Père Terre cruel qui a fait éclater tous les continents (la saison de l’éclatement) ; les orogènes et les Niess sont victimes de la persécution due à la différence, quand bien même ils sont capables de contenir les tremblements de terre et les éruptions volcaniques ; l’égoïsme absolu des ancêtres a provoqué la destruction de la planète et de l’humanité, réduite à la survie.
Rien de vraiment original dans tout cela, mais l’ensemble est servi par un imaginaire très riche et qui donne à visualiser des séquences dignes des effets spéciaux les plus sophistiqués, et par une analyse psychologique très fine entre les personnages.
Quant à mériter à chaque roman le prix Hugo…
- Sonia Faessel -
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La trilogie de Liu Cixin : attention, chef d’œuvre !
Par Sonia FAESSEL
Écrite entre 2008 et 2010, traduite chez Actes Sud entre 2016 et 2018, la trilogie de Liu Cixin place d’emblée cet auteur chinois chez les grands de la SF.
Pour preuve, il est le premier Chinois à avoir reçu le prix Hugo en 2015 pour Le Problème à trois corps, premier volet de la trilogie, et le troisième tome : La Mort immortelle obtient le prix Locus du meilleur roman de science fiction en 2017.
On ne parvient pas à obtenir beaucoup d’informations sur cet auteur : il est né en 1963, il a fait des études à l’université dans le domaine de l’ingénierie (eau et électricité). Comme il n’est pas dissident, ou du moins non perçu comme tel puisqu’il est très populaire en Chine, difficile de savoir comment il est arrivé à la SF. Il sera intéressant de découvrir son roman cyberpunk, Chine 2185, disponible en chinois uniquement pour l’instant, qui avait été publié à la veille des événements de Tian’anmen (1989).
Le sujet de la trilogie est classique : l’humanité est confrontée à une menace extraterrestre, l’espace s’élargit jusqu’à devenir cosmique, la dimension temporelle s’étend de la Révolution Culturelle chinoise à + 18 milliards d’années, fin de notre univers et naissance d’un nouveau.
C’est dans le traitement du space opera que réside l’originalité. L’humain reste au centre de l’histoire, et n’est pas dépendant de la technologie, ce sont les réactions successives de l’humanité à la menace qui structurent la trilogie.
Dans Le Problème à trois corps, sont évoquées les aberrations de la Révolution culturelle, admises à présent en Chine, moins par esprit critique que pour présenter un personnage qui déclenchera la menace : Ye Wenjie, la fille d’un scientifique universitaire, déchu publiquement par son épouse et ses anciens étudiants. Enfermée dans une mystérieuse station militaire, elle va découvrir le système des Trisolariens et répondre à leur message en utilisant le soleil comme amplificateur d’ondes magnétiques. Son choix est déterminant, malgré l’avertissement lancé : « ne répondez pas ».
Si Lui Ji a l’impression d’être dans un jeu virtuel particulièrement sophistiqué, qui décrit le monde trisolarien, exotique à souhait, avec ses trois soleils tournant de manière aléatoire autour d’une planète habitée par des humanoïdes capables de se déshydrater et de se stocker lorsque le climat devient, en quelques jours, soit totalement glacial, soit plus brûlant que celui de Mercure, il comprend que ce monde virtuel ne l’est pas et qu’il décrit une civilisation extraterrestre. C’est la manière que les Trisolariens ont choisie pour communiquer avec l’Organisation Terre- Trisolaris (OTT), un groupe humain bien convaincu que l’humanité ne vaut pas la peine d’être sauvée et mené par Ye Wenjie. Avertis que les Trisolariens vont commencer leur voyage à destination de la Terre et ont choisi de détruire l’humanité, non par choix belliqueux, mais parce qu’ils ont déduit de la nature même de l’homme que toute idée de cohabitation serait impossible, les membres de l’OTT mènent des actions destructives pour affaiblir l’humanité. Les scientifiques du monde entier se suicident, les installations de communication sont détruites, et c’est un homme tout à fait ordinaire, Lui Ji, qui parvient à détruire le bastion de l’OTT, soit un navire de guerre transformé en forteresse.
A la fin de ce premier volume, les Trisolariens font parvenir un dernier message aux Terriens, avant de couper tout contact : « Vous êtes de la vermine ». Ce à quoi, Chi Qiang, autre personnage important de la trilogie, commissaire peu conformiste, particulièrement inventif, d’une intuition redoutable, et ami de Liu Ji, répond en montrant un champ de locustes : « Les Trisolariens semblent avoir oublié quelque chose : personne n’a jamais triomphé de la vermine ». Malgré cette note optimiste, les Terriens ont tout de même de quoi désespérer : les Trisolariens ont enveloppé la Terre d’intellectrons, créés à partir des dimensions quantiques. Ils ont pour mission de bloquer toutes les avancées humaines dans le domaine des sciences fondamentales. Les Trisolariens se sont en effet rendus compte de l’incroyable avancée technologique de la civilisation humaine, en à peine deux siècles, et, comme ils mettront plus de quatre siècles avant d’arriver sur Terre, leurs vaisseaux ne maîtrisant pas la vitesse subluminique, ils ont trouvé ce moyen pour leur assurer une supériorité définitive.
Dans le deuxième volume, La Forêt sombre, l’humanité doit réagir face à sa fin inéluctable dans quatre siècles. Son histoire évolue en ères successives, celle de la crise, celle du Grand Ravin, épisode particulièrement catastrophique marqué par le désespoir, pour finir par l’ère de la dissuasion. Comme dans le précédent volume, les décisions sont prises en commun, par des comités, commissions et spécialistes, et des plans sont élaborés. On reconnaît la gouvernance collectiviste de la Chine, et, même si l’ONU est évoquée plusieurs fois, les espaces et les interventions des autres pays sont très peu présents, l’essentiel se passe dans l’espace chinois. Pour lutter contre les Trisolariens, deux idées sont retenues : la fabrication intensive de vaisseaux et d’armes capables de détruire la flotte trisolarienne, et les « colmateurs », au nombre de quatre, choisis par l’ONU. Le colmateur représente le génie humain opaque aux Trisolariens, fondamentalement transparents et incapables de mensonges parce que motivés uniquement par la survie dans leur monde, puisqu’à chacun des bouleversements engendrés par leurs trois soleils, leur civilisation s’éteint, en attendant la prochaine période favorable. La dissimulation et le calcul stratégique leur sont étrangers et c’est sur cet avantage que la civilisation humaine compte pour obtenir la victoire. Comme les intellectrons espionnent tout et rapportent les faits, gestes et paroles des humains à leurs maîtres, le colmateur ne doit pas révéler son projet, mais le mettre à exécution. L’OTT riposte en adjugeant à chaque colmateur un « fissureur », dont la mission consiste à trouver et dévoiler le plan imaginé par le colmateur. Sur les quatre choisis, seul Liu Ji, choisi contre son gré et à son grand étonnement, réussira. Les Trisolariens ont compris son importance puisqu’à peine est-il sorti de la cérémonie d’intronisation de sa nouvelle fonction à l’ONU, qu’ils essaient de le tuer, par l’intermédiaire de leurs serviteurs de l’OTT. À la fin du volume, il ouvre l’ère de la dissuasion en menaçant de produire une onde suffisamment puissante pour donner à l’univers les coordonnées du monde trisolarien. Il a en effet compris, et les Trisolariens le savaient aussi, que l’univers est peuplé de millions de civilisations intelligentes, et non pas vide comme on le croit. Il est une « forêt sombre » : derrière chaque arbre se cache un chasseur, prêt à détruire toute concurrence, surtout quand le monde observé est jugé comme une menace, c’est à dire quand il a accédé à l’explosion technologique, ce qui est le cas pour l’humanité. La chaine de suspicion est l’arme fatale qui entraine l’agression et la destruction ; on ne peut jamais savoir si l’autre est sincère puisqu’il y aura toujours suspicion de mensonge. Révéler la position du système trisolarien entraine celle du système solaire tout proche, et conséquemment la disparition à plus ou moins longue échéance des deux mondes, mais c’est un risque à prendre. Les Trisolariens renoncent à la conquête de la Terre et changent de trajectoire. Ils libèrent aussi la Terre des intellectrons, et Lui Ji devient le sauveur de l’humanité.
C’est donc un happy end, malgré la tragédie de la perte totale de la flotte interstellaire, détruite par une « sonde » trisolarienne, en fait une arme redoutable, produite par une technologie que l’humanité ne pourra jamais atteindre. L’histoire aurait pu s’arrêter à ce diptyque, mais elle se poursuit à un niveau cosmologique dans le troisième volume : La Mort immortelle. Il s’agit des chroniques du hors–temps, écrites par Cheng Xin, survivante de l’humanité à plus de 18 milliards d’années de distance. Choisie par l’ONU pour remplacer Lui Ji au poste de « porte épée », soit l’arme de dissuasion (la menace de l’envoi des coordonnées du système trisolarien dans l’univers par une onde gravitationnelle), elle ne l’utilise pas lorsque les Trisolariens attaquent la Terre, et c’est la fin de l’ère de la dissuasion. On apprend qu’elle a été manipulée par les intellectrons, incarnés par l’androïde intellectra : à peine l’inflexible Jiu Ji est-il remplacé que les Trisolariens, qui ont fait des progrès en plus de trois siècles d’observations des sociétés humaines, ont utilisé la faiblesse humaine, en l’occurrence, la compassion et l’amour de ses semblables, qui empêchent la jeune Cheng Xin de dévoiler les coordonnées à l’univers. L’ère de la post dissuasion commence : l’humanité est rassemblée en Australie, seule « réserve » autorisée, et les réfugiés sont conviés au cannibalisme pour pallier les problèmes de nourriture à venir. C’est l’alternative que les Trisolariens ont proposée au lieu de l’éradication totale. Mais c’est compter sans les deux vaisseaux qui avaient fui lors de l’ultime bataille, voyant bien qu’aucune échappatoire n’était possible lors de la destruction de la flotte ; le Gravité, muni du système d’émission d’ondes gravitationnelles, envoie les coordonnées des deux systèmes, et celui de Trisolaris ne tarde pas à être détruit. Les Trisolariens reprennent leur voyage interstellaire et la Terre attend son éradication prochaine. Plusieurs plans s’élaborent : le plan escalier, qui consiste à envoyer un cerveau humain dans l’espace pour rencontrer le futur ennemi, , la construction de vaisseaux subluminiques, les cités bunker dans l’espace, à l’abri dans l’ombre de Jupiter, et capables de se déplacer pour échapper à la destruction du système solaire. C’est ce dernier qui prévaut, et Jupiter abrite bientôt plus de cinquante cités bunker, soit la quasi totalité de l’humanité. Seuls cinq millions d’humains restent sur leur planète mère, attendant la destruction avec fatalisme, dans un paradis de verdure où la nature a repris ses droits, puisque la civilisation est partie dans l’espace. Du bras gauche de la constellation Orion, arrive l’arme fatale, sous la forme d’un « post-it », une feuille minuscule qui avale l’espace tridimensionnel pour le transformer en une titanesque peinture bidimensionnelle. C’est la fin de l’univers entier, en attendant la naissance du nouveau, dans lequel les onze dimensions seront à nouveau présentes, et seuls un couple d’humains réfugiés dans une « bulle univers » pourront le contempler. Nous sommes dans le hors temps, à plus de dix huit milliards d’années, l’itinéraire de la civilisation humaine est accompli, car « l’ultime métamorphose de toute civilisation intelligente consiste à devenir aussi grande que ses pensées ».
On peut en effet voir la trilogie de Liu Cixin comme une histoire de l’humanité, certes centrée sur la Chine à laquelle elle appartient, mais aussi sur l’espace et l’univers. Pas d’évolution géologique, pas de suprématie divine, mais des étapes déterminées par des comportements, fondés sur les réactions des hommes face à ce qui menace leurs existences. L’imaginaire visualise des séquences hallucinantes : le cuirassé coupé en deux par le poignard épée de Liu Ji, un filament issu de la nanotechnologie plus fin qu’un cheveu et plus solide que n’importe quel métal ; la description de l’entrée de l’équipage de l’Espace Bleu dans une poche de la quatrième dimension ; la destruction de la flotte interstellaire par la gouttelette envoyée par les Trisolariens ; l’effondrement des planètes dans la deuxième dimension. Aux périodes d’espoir, voire d’arrogance, lorsque la solution semble trouvée, succèdent des décennies de désespoir : les héros d’autrefois sont honnis parce qu’on les accuse de ne pas avoir pris les bonnes décisions, des scènes de paniques effroyables tuent des milliers de gens, lorsque l’alerte planétaire est déclenchée par erreur. L’on découvre les progrès technologiques et les décors des civilisations successives par bonds dans le temps, lorsque les personnages principaux se réveillent de leur mise en hibernation plusieurs décennies ou siècles plus tard. C’est ainsi que Cheng Xin sera réveillée pour sa dernière mission avant la fin de l’univers, et retrouvera sur Pluton Liu Ji, âgé de plus de deux siècles.
C’est surtout une histoire de l’esprit humain et de la force des émotions que Liu Cixin incarne à travers des personnages clés : Ye Wenjie, la scientifique fondatrice de l’OTT, Liu Ji, enfermé dans son bunker pendant plus de cinquante ans pour tenir tête aux Trisolariens par sa fonction de « porte-épée », le colmateur Wade, inflexible et dont toute la vie se résume à « en avant, en avant », la jeune Cheng Xin, auteur des chroniques hors-temps du troisième volume. Tous incarnent une valeur forte, endurance, abnégation, ténacité, et tous ont un sens aigu du devoir, en partie celui de suivre les ordres de leurs supérieurs, mais davantage celui envers l’humanité. Des émotions comme la peur et le désespoir rythment le récit, mais l’amour, la compassion et la capacité d’émerveillement sont seuls capables de tirer un homme hors de soi pour le faire passer dans une autre dimension, celle de la compréhension de ses semblables et de l’univers. C’est ainsi que Liu Ji se voit révéler le concept de « forêt sombre » de l’univers par la compagne imaginaire qu’il se créé lorsqu’il devient colmateur et choisit de se retirer dans un endroit idyllique et hors de tout contact, elle est et sera toujours son seul amour ; de même, Yun Tianming, amoureux en secret de Cheng Xin, accepte que son cerveau soit envoyé dans l’espace et offre, avant de partir, une étoile à celle qu’il aime. Les deux se retrouveront sur cette étoile et c’est encore Yun Tianming qui offre à Cheng Xin, l’univers 647 dans lequel elle peut encore vivre après que tout soit détruit. Amour et compassion ne font pas bon ménage avec la logique et sont responsables de la destruction de l’humanité : c’est parce que Cheng Xin n’a pas su actionner le bouton qui donnait les coordonnées du système trisolarien que le grand exil australien a eu lieu, c’est encore parce qu’elle a interdit à Wade de continuer son programme de vaisseaux subluminques, dont le prix à payer était la destruction d’une cité bunker et de tous ses habitants, que toute échappatoire est interdite lorsque l’arme ultime lancée par les « chasseurs » d’Orion apparaît dans le système solaire. Mais c’est un destin que les Trisolariens ont fini par envier à l’humanité, eux qui ont dû renoncer à toute émotion au nom de la survie, et dont les rares survivants sont condamnés à errer sans but jusqu’à la fin de l’univers.
Au final, une trilogie d’une grande intensité, qui mélange avec une habileté remarquable la culture occidentale et chinoise, et utilise avec virtuosité les grands thèmes de la science fiction pour en faire une œuvre d’une tonalité unique et profondément originale.
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Les baroudeurs de l’espace
Dans Deathworld de Harry Harrison, et Dragon déchu de Peter F. Hamilton
Par Sonia Faessel
Deux solitaires, deux aventuriers : Jason, joueur exceptionnel grâce à ses pouvoirs psy, Lawrence Newton (au nom prédestiné s’il en fut : comment ne pas se balader d’une planète à l’autre quand on porte le nom du découvreur de la gravité universelle ?), gosse de riche qui fuit sa planète et le destin d’homme de pouvoir que lui a manigancé son père.
Dans les deux livres, les héros apprennent à prendre leur destin en main : enrôlé de force par les colons de la planète Pyrrus, Jason transformera un enfer en un foyer pour lui et sa « tribu », Lawrence, mercenaire à la solde d’une grande compagnie, finira par retrouver sa planète natale, enrichi de la rencontre dont il avait toujours rêvé, celle d’un extraterrestre.
Harry Harrison est l’auteur de Soleil vert, que nous connaissons par le film de Richard Fleischer (1973) et les inoubliables Charlton Heston et Edward G. Robinson, et l’on sait donc que cet auteur s’intéresse tout particulièrement aux interactions entre l’environnement et les comportements humains. C’est en partie le sujet de Deathworld, puisque Jason passe d’un environnement hostile à un autre, de charybde en scylla : d’abord invité forcé sur la planète Pyrrus, dont la totalité de la faune et de la flore sont de redoutables armes mortelles pour les colons, il se retrouve esclave sur la planète Appsala, avant d’être confronté sur Cassylia à des hordes de guerriers redoutables. Sur chacune de ses planètes désolées, aux paysages lunaires, les hommes se sont organisés pour survivre : les colons de Pyrrus sont armés avec tout ce que la technologie des mondes colonisés peut apporter, et ne vivent que pour la guerre sans merci qu’ils livrent aux bêtes et aux plantes monstrueusement agressives ; les tribus d’Appsala sont organisées en fonction des richesses qu’elles gardent jalousement, et selon une hiérarchie qui maintient la population à l’ère du néolithique, les guerriers de Cassylia passent leur temps à se combattre, à la manière des seigneurs de l’époque féodale. Jason est celui qui trouve les solutions, en partie grâce à ses facultés psychiques, mais surtout de par son statut d’étranger venu de la Terre et d’une bonne dose de cynisme et d’habilité politique. Le tout est agrémenté d’un exotisme cosmique et l’imaginaire est digne du virtuel le plus débridé, les batailles sont épiques, les héros sont attachants, en bref, une lecture extrêmement agréable.
Dans Dragon déchu (Fallen Dragon, 2001), Peter F. Hamilton construit les prémisses de son cycle du Commonwealth qu’il écrira 8 ans plus tard. La longévité humaine est améliorée par les techniques de clonage et de rajeunissement, et le sujet du livre est la résistance à l’exploitation. La Zantui-Braun Company possède la totalité des entreprises de la Terre, investit des capitaux pour équiper les planètes colonisées, apportant toute la technologie nécessaire à la civilisation, mais en contrepartie, elle revient récupérer les dividendes, soit les richesses exploitées par les colons. L’opération s’apparente à de la piraterie, car il est bien évident que les mercenaires de la Z-B en sont jamais les bienvenus. Quand le groupe mené par Lawrence Newton débarque sur Thallspring, il se heurte à une résistance particulièrement efficace. Le ‘roadmovie ‘ planétaire de Lawrence va le mener à une remise en question qui lui permettra de rencontrer le ‘dragon déchu ‘, fragment d’entités extraterrestre, qui a partagé sa technologie avec ceux qui l’ont protégé. Lawrence ira à leur rencontre pour restituer le fragment aux entités, et découvrira que le partage des informations est leur seule raison d’être, soit l’idée qu’Hamilton développe dans le Commonwealth. Le trajet est le fil conducteur du livre : aussi bien physique, que mental, puisque le personnage central est à la recherche de l’Autre mais aussi de lui-même. Suspense, manipulations, scènes de sabotage, espionnage, poursuites et combats dans les sites les plus improbables rendent la lecture captivante.
Au final, deux excellents livres !
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Plongée dans le merveilleux scientifique avec Stephen Baxter
Par Sonia Faessel
Le merveilleux scientifique, c’est Jules Verne qui l’a inventé dans ses Voyages Extraordinaires, conseillé, il est vrai par son ami et éditeur Jules Hetzel
On se rappelle tous des descriptions des fonds sous-marins de Vingt mille lieues sous les mers, ou encore des couches géologiques successives de la descente du Voyage au centre de la Terre : Jules Verne mettait en prose poétique les connaissances scientifiques de son époque et obtenait un effet de dépaysement et d’exotisme maximum, alors qu’il décrivait notre planète.
Imaginez à présent le même effet, mais dans le cosmos, dont les images nous émerveillent : nébuleuses, super novae, naines rouges, étoiles blanches, trous noirs. Stephen Baxter nous plonge au cœur de ces phénomènes dans son cycle des Xeelees, partiellement traduit et publié en 4 volumes par les éditions du Bélial. Il fallait au minimum une formation de mathématiques à l’université de Cambridge et une pré sélection au poste d’astronaute sur la station Mir, pour que cet Anglais de Liverpool puisse faire partager au lecteur les connaissances phénoménales que nous avons aujourd’hui de l’univers.
Les Xeelees sont les maîtres de notre univers, dont ils connaissent la très proche extinction, soit, dans cinq millions d’années. Baxter travaille donc sur une grande échelle de temps : le premier volume , Gravité, se situe vers 100 000, dans « l’ère pour la guerre pour la fin des guerres » ; le second, Singularité, décrit des événements qui ont lieu pendant l’occupation Qax, vers 5 000 ; le troisième, Flux, est lui aussi dans « l’ère de la guerre pour la fin des guerres », mais 100 000 ans après Singularité, le dernier, Accrétion, décrit la fin du soleil et de notre univers dans cinq millions d’années. Les humains ont disparu de la galaxie, les seuls survivants sont sur une Terre temporellement déportée.
Dans chaque livre, recueil de nouvelles, œuvre énorme qui a commencé en 1987 et dont une grande partie reste encore à traduire, l’homme est confronté à un problème d’ordre cosmique. Dans Gravité, il doit faire face à l’effondrement de la nébuleuse qu’il habite ; dans Singularité, il voyage dans le futur pour combattre l’invasion Qax, dans Flux, réduit à une taille microscopique, il doit faire face aux instabilités d’une mer quantique dans une étoile à photons, dans Accrétion, il doit trouver un moyen de s’échapper de l’univers en agonie, vide de toute vie. C’est dire l’ampleur des défis, relevés grâce à l’ingéniosité (la fabrication d’un vaisseau de fortune dans Gravité), ou à une technologie améliorée au fil des conquêtes, ou volée aux Xeelees : vaisseaux subluminiques, trous de vers qui permettent de voyager aussi bien dans l’espace que dans le temps, maintenus ouverts par la matière exotique découverte par Michael Poole, armes capables de briser une étoile, rien n’est impossible. L’intelligence et la technologie semblent triompher de la nature, ce qui est bien la marque de l’homo sapiens.
Et pourtant, des forces sombres sont à l’œuvre, nées de l’univers lui-même, comme nous l’apprend le dernier volume : la matière noire, qui compose plus de 90% de l’univers, mange la matière baryonique, celle des étoiles et des planètes. Les Xeelees l’ont su, sont remontés dans le passé pour modifier leur évolution, de manière à pouvoir construire un anneau, porte qui s’ouvre sur un autre univers. Ainsi, l’IA envoyée dans le Soleil assistera-t-elle, impuissante, à la mort de l’étoile rongée par les oiseaux photinos de matière noire.
Sur le plan humain, les forces sombres sont à l’œuvre elles aussi, issues de la nature humaine elle-même, ce que montre la déliquescence sociale du vaisseau envoyé dans le futur, à cinq millions d’années. Le voyage dure mille ans, et les vieux réflexes tribaux, le fanatisme et la soif du pouvoir ont détruit la société du départ. La sagesse acquise au cours de plusieurs siècles d’existence prolongée par les sessions d’arrêt de la sénescence, a bien du mal à s’imposer, et les intelligences artificielles, transformées en énergie quantique, sont plus utiles à la survie de l’espère humaine que l’homme lui-même.
Finalement, changer la nature a ses limites. Baxter ne pense pas comme Jules Verne, que la Providence est seule juge et punit l’orgueil des hommes par des catastrophes (c’est le cas dans deux tiers de ses romans). Rien de divin dans son cycle des Xeelees, si ce n’est une race infiniment supérieure et mystérieuse, dont les noircroiseurs sont capables de parcourir plusieurs millions d’années lumière par heure, en utilisant l’énergie de l’univers. Confronté aux forces titanesques du cosmos, l’homme est infiniment peu de choses : il est pourtant grand par sa ténacité, son incroyable volonté de survie, mais si petit et mesquin lorsqu’il cède aux vertiges de la puissance.
Au final, de la grande et belle SF, comme on l’aime : des aventures galactiques qui pourront combler les astrophysiciens par leur côté hard science, et les lecteurs néophytes par un imaginaire qu’on voit rarement : qu’il s’agissent des vaisseaux arbres de Gravité, des vaisseaux vivants des Qax dans Singularité, du monde enfermé dans l’étoile à photon de Flux, de la perception subjective de la mort du soleil par l’IA et des noircroiseurs d’Accrétion, pour ne prendre que quelques exemples.
Les quatre volumes forment un tout parfaitement cohérent, avec des anticipations sur la suite et des rappels des événements et personnages des volumes précédents, et, si Baxter n’a pas réussi à être un astronaute, le lecteur l’est, au fil des deux milles pages de son cycle, dans un voyage extraordinaire parmi les étoiles et les nébuleuses.
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Dans la cour des grands :
Peter F. Hamilton /Stephen King
Par Sonia Faessel
Si vous aimez les voyages de lecture qui vous plongent pendant des semaines dans un imaginaire et un univers riches et captivants, alors n’hésitez pas : absorbez les 4000 pages et plus des cycles du Commonwealth de Peter Hamilton et les 7 volumes de La Tour sombre de Stephen King. Deux créateurs immenses, qui partagent une culture littéraire et cinématographique conséquente, comme tous les grands écrivains qui ne se contentent pas d’écrire, mais lisent les autres.
Ils ne travaillent pas de la même manière : Peter Hamilton écrit une saga de space opera, son imaginaire se construit au fur et à mesure, et c’est en moins de 10 ans, de 2005 à 2014 qu’il compose les 7 volumes des deux cycles du monde du Commonwealth, L’Étoile de Pandore (4 vols.), Le Vide qui songe (3 vols.). Stephen King commence La Tour sombre en 1970, inspiré par la lecture d’un poème de Robert Browning (poète anglais, 1812-1889), intitulé : « L’Écuyer Roland à la Tour sombre s’en est venu », et par le personnage incarné par Clint Eastwood dans Le Bon, la brute, le truand, film de Sergio Leone (1966). Du poème, il tient son titre : La Tour sombre, et l’idée d’un imaginaire médiéval ; du western spaghetti de Leone, il trouve son personnage du pistolero, titre du premier volume du cycle, et il publie les deux premiers récits en 1970 dans des magazines. Il reprendra son projet en 1982, The Gunslinger (traduit en France en 1991 par Le Pistolero) et les 7 volumes (8 vols en anglais) s’échelonneront jusqu’en 2012. C’est donc une œuvre qui mûrit pendant plus de quarante ans, nourrie par l’imaginaire de Stephen King déployé dans les livres publiés pendant cette période. Il dit dans sa préface que c’est son œuvre majeure, dans laquelle il a mis tout ce qui le constitue en tant qu’écrivain, et c’est parfaitement exact : toute sa thématique y est.
Hamilton et King partagent une vision du mal : d’un côté, un extraterrestre, l’Arpenteur, une intelligence non humaine dont l’objectif est de remplir la galaxie de sa seule présence, de l’autre le roi Cramoisi, qui veut détruire la tour sombre, garante de l’équilibre des mondes. Les deux super malfaisants ont des agents, volontaires ou non, qui sont autant d’obstacles aux « bons » et animent la lutte sans merci.
Les similitudes s’arrêtent là, Hamilton propose une confrontation entre l’humain et une technologie menaçante, fondée, non sur une assimilation façon Borgs, mais sur la conquête à tout prix ; King construit son cycle en forme de quête, celle du pistolero–chevalier Roland Deschain, et la première phrase du cycle : « l’homme en noir fuyait dans le désert et le pistolero le poursuivait » est aussi la dernière des 4500 pages de cette aventure.
Dans sa saga du Commonwealth, Hamilton déploie un imaginaire connu dans le space opera. Ce n’est pas l’univers de Star Wars, mais les éléments fondamentaux sont là : une conquête humaine des planètes de la galaxie, grâce à la technologie maîtrisée des trous de vers et des vaisseaux supraluminiques, des intrigues politiques, un monde capitaliste, dominé par les dynasties terrestres et interstellaires. Quelques extraterrestres collaborent plus ou moins avec les humains, sans intervenir directement, soit parce que leur civilisation est beaucoup plus ancienne, soit parce qu’ils n’ont pas la prétention d’intervenir dans la vie de la galaxie. D’autres ont renoncé à une technologie dévastatrice et choisi volontairement de régresser. Dans tous les cas, cela permet d’envisager d’autres perspectives, en montrant les limites de la technologie ou des utilisations qui savent se passer de toute forme d’agression : les chemins des Sylphens, que les humains appellent des elfes, mènent d’une planète à l’autre, sans aucune logique autre que celle d’explorer des expériences de vie.
Peter Hamilton se préoccupe de la mort : est-elle une finalité ou non ?, question que se pose l’homo sapiens depuis qu’il sait qu’il existe. Il avait déjà développé la question dans sa trilogie L’Aube de la nuit, fresque spatiale dans laquelle les personnages doivent essayer de cohabiter avec les âmes des morts, inopinément libérées de l’espace et qui se précipitent avec jubilation sur tous les corps des vivants : l’ensemble, écrit entre 1996 et 2000, raconte avec gravité et drôlerie ce que peut bien devenir une société humaine interstellaire lorsqu’elle est envahie par des indésirables.
Dans le cycle du Commonwealth, la mort n’est plus une finalité : chaque humain qui en a les moyens, peut bénéficier d’une cure de rajeunissement et d’une « résurrection » par clonage et réimplantation de sa mémoire si son enveloppe corporelle disparaît. Le meurtre n’a donc plus guère de raison d’être, mais gare au piratage informatique ! C’est en modifiant les implants d’un humain que l’Arpenteur forme ses agents, mais les logiciels et les virtuoses du cyber espace ont aussi créé l’IA, entité dont les processeurs occupent une planète entière, et qui conseille les humains et envahit elle aussi les logiciels de ses agents, avec leur consentement.
Dans La Trilogie du Vide (2008-2011) le cycle suivant la guerre menée contre l’Arpenteur, l’humanité est mise en péril par le vide qui songe, une promesse d’un paradis transmis par les rêveurs de la planète à l’intérieur du vide. Cette fois-ci, la religion est au centre du combat entre les factions, les « conservateurs, qui se méfient, et les « accélérateurs », qui voient dans cette évolution une post humanité bienheureuse. Il ne s’agira que d’un leurre, d’une gigantesque machine construite par les Primiens, ceux de la race de l’Arpenteur, capable d’absorber l’énergie des étoiles de la galaxie, et mangeuse d’esprits. Certes, les âmes appelées par le vide sont bienheureuses, mais elles n’ont plus aucun désir et la stagnation extatique dans laquelle elles sont plongées ne suscite plus rien. Les batailles sont titanesques, les pouvoirs psychiques immenses, la technologie effrayante, et l’humanité sera sauvée de justesse.
La grande réussite de Hamilton réside dans la complexité des intrigues et la multiplicité de personnages bien caractérisés, que l’on retrouve d’un volume à l’autre. Aucun ennui dans la lecture de ces sept livres, dont chacun se termine par un suspens qui donne envie de continuer. Il explore avec brio les modalités d’une évolution de l’humanité pourvue d’une technologie qui lui permet de reculer les limites de la mort physique.
Autant l’on reconnaît chez Hamilton les thèmes classiques de la SF, autant l’on identifie les thèmes majeurs de l’oeuvre de King dans La Tour Sombre. De la SF, il utilise les portes qui ouvrent sur des espaces temps différents, toujours sur la Terre cependant. Avec le personnage de Jack, le jeune garçon qui accompagne le pistolero, il reprend le thème du shining, pouvoir utilisé pour détruire les rayons de la tour sombre, et que traquent les agents du roi Cramoisi. Le dédoublement de personnalité permet de récupérer son intégrité physique, (le personnage de Susannah Dean, amputée de ses deux jambes), tout comme le fait Mr Mercedes. L’écriture reste au centre de la quête, et Stephen King se met en scène comme seul détenteur de la suite de l’histoire. Il devient un personnage en danger de mort, traqué par les agents du roi Cramoisi. L’Heroic Fantasy est évoquée dans les deux volumes consacrés au passé du chevalier Roland : on y trouve des sorcières, des objets magiques, des personnages puissants et malfaisants, mais il s’agit d’avantage d’une fresque sur fond médiéval que d’un cycle évoquant Le Seigneur des Anneaux. La fonction de l’épisode est de mieux comprendre le personnage de Roland et de céder à la rêverie littéraire d’un monde médiéval revisité par l’imagination de King. On peut s’amuser à lister avec précision les éléments qui se trouvent dans les livres de King écrits entre 1981 et 2012, on en trouvera une bonne vingtaine, suffisamment pour faire de La Tour Sombre une œuvre somme, qui ne ressemble à rien de ce que King a écrit et qui dans le même temps rejoint le connaisseur de son œuvre.
On imagine assez mal des adaptations cinématographiques de ces deux cycles, tant les décors, la profusion des personnages, la complexité des intriques, et le temps de la lecture sont irréductibles. Le film sorti en 2017 d’une adaptation de La Tour Sombre fut un échec. Des séries télé sont évoquées, il faudra au minimum le talent de l’équipe de Game of Thrones pour les mettre en chantier. En attendant, bonne lecture !
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