NOUS AUTRES CIVILISATIONS
(par Mandragore / Publié dans CosmoFiction Fanzine 5 de janvier 1990)
« Mais qui demeurera dans ces Mondes s’ils sont inhabités ?… D’eux ou de nous, qui sont les Seigneurs du Cosmos ?… Et par quel miracle toutes choses créées seraient-elles faites pour l’Homme ? » KEPLER (exergue de LA GUERRE DES MONDES)
« Personne n’aurait cru », à l’heure de l’I.D.S. ou du laser domestique, qu’on pût encore lire Wells ! Des bactéries triomphantes aux catastrophes écologiques, combien d’écrasants poncifs, parties intégrantes aujourd’hui d’une réalité prompte à donner raison aux plus noirs augures !
Que vaut la vision du vieil haruspice ? Que nous dit-il les mains plongées dans les entrailles de l’âme humaine ? Non pas celles, augustes mais vides, de ces héros d’airain qu’inventent les livres, mais celles, ignobles peut-être mais du moins vivantes, d’hommes de tous les jours confrontés à l’écroulement de tout un monde comme à l’inanimité même de tout combat.
À un détail près (des OVNI vomis par un canon martien), plus rien ici d’un Verne, de sa foi naïve en la science, de ces personnages incarnant toujours des Crusoe tenaces ou des gentlemen excentriques. Les créatures de Wells errent hébétées dans un univers carbonisé qui s’impose à elles dans toute son horreur. Elles ne sont pas sans rappeler Balarov, ses vagabonds. L’auteur de « Sécheresse » et du « Vent de nulle part » décrit tout autant l’inéluctable délitement d’une humanité imbue d’elle-même. Les Européens à rickshaws des quartiers réservés de Shangaï dans « L’Empire du Soleil » comme les Anglais paisibles du Surray dans « La Guerre des Mondes », découvrent avec stupeur l’inconcevable : japonais ou martien, l’intrus implacable qui détruit l’ordre centenaire, renverse les hiérarchies.
Et, si au bout l’aube se lève, ce n’est point le fait des armées laminées, des vicaires fous, des hordes réduites, pour survivre à l’exode, aux plus bas instincts. Non. La victoire appartient aux plus humbles. L’héroïsme, la science, la conscience n’y ont aucune part. Quelle amère leçon pour les tenants de la Force, pour les imams, gent de nul recours à l’heure où malheur !
Obsolète, « La Guerre des Mondes » ? À l’aune de l’ozone raréfié, des virus meurtriers (Dengue ou Sida), l’œuvre prend au contraire tout son éclat. Rien n’est jamais acquis. Tout passe. Nous, solitaires locataires de notre sphère bleue, nos civilisations de cristal, nos sceptres de bois.
En ces jours d’anathème où des fanatiques aberrants bêlent l’Unique Vérité, il me semble mieux entendre et goûter l’aigre voix de ce moraliste faussement compté « parmi les morts ».
- Mandragore (1990) -
Laisser un commentaire